vendredi 6 novembre 2015

CULTURE ET SANTE


Cessons de privilégier l’économie sur la santé

Le Monde.fr |
Répartition régionale des troubles liés à l’alcool en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) : intoxication aiguë vs. syndrome de dépendance, France, 2011

Dans une société en difficulté, les risques insupportables, peu accessibles à des décisions politiques, prennent le pas sur les risques majeurs que nous pouvons réduire. La dérive prend alors la forme de décisions démagogiques dangereuses visant à donner l’impression d’une activité gouvernementale, ou d’une inertie témoignant d’une forme de désarroi décisionnel. Nous avons assisté récemment à un simulacre de résistance gouvernementale à l’achèvement du démantèlement de la loi Evin dans sa partie alcool, une modification à la marge de l’amendement parlementaire ayant été introduite lors de l’usage de l’article 49-3. Le Conseil constitutionnel n’a pas accepté ce texte inséré dans une loi sur la croissance alors que la mesure concerne la santé publique.

Cette mesure était une négation du sens des mots, des activités de promotion publicitaires étant déclarées comme ne relevant pas de cette pratique. De nouvelles tentatives auront lieu, elles seront des bons tests des priorités gouvernementales. Entre la croissance des revenus et la croissance de l’alcoolisation, il lui faudra choisir. Le vote du Sénat contre la mise en œuvre du « paquet neutre » a été une autre expression politique du refus de prendre en considération l’importance des dommages provoqués par le tabac. Les 200 morts quotidiennes attribuables à ce produit n’empêchent pas les sénateurs de dormir. Cette indifférence au malheur humain n’est pas une nouveauté, le Sénat a constamment lutté contre l’adoption de lois de santé publique contrariant des lobbys économiques.
Quand nous avions proposé les dispositions qui ont pris la forme de la loi Evin il y a 25 ans, le Sénat avait rejeté la totalité du projet de loi en première lecture. Le débat sur le paquet neutre a souvent dépassé les limites du ridicule, certains opposants mettant en avant son inutilité, alors que d’autres utilisaient l’argument des dommages économiques pour les débitants de tabac.

Insécurité routière

L’évolution de l’insécurité routière est facile à décrire. Nous avons bénéficié d’une réduction annuelle importante de la mortalité depuis les réformes de 2002. La tendance s’est inversée en 2014 et nous subissons cet accroissement depuis maintenant 20 mois. L’objectif gouvernemental de 2000 tués en 2020 sera inaccessible avec la politique actuelle. Elle associe la perte du fonctionnement interministériel, le refus des propositions faites par le comité des experts auprès du Conseil national de la sécurité routière et un désordre organisationnel qui est une honte pour la République. La moitié des infractions routières ne provoquent pas la perte de points prévue par la réglementation.
Défini il y a dix ans, le projet Cassiopée devait mettre de l’ordre dans les logiciels de la justice et faciliter la transmission des données entre les administrations concernées. Ses organisateurs auraient dû se méfier, Cassiopée était devenue le symbole de la vantardise. Les maladies accompagnant le surpoids et l’obésité constituent un problème majeur de santé publique. L’industrialisation de l’alimentation, couplée à des publicités irresponsables, contribue largement à développer ce risque. L’Union européenne fonctionne toujours sous l’influence des groupes de pression, avec un texte sur l’affichage des caractéristiques des produits alimentaires qui n’a que 165 745 caractères ! Il a été rédigé en 2011 et il sera applicable en 2016 sous une forme illisible.
La loi de santé publique en discussion prévoit qu’une présentation complémentaire sera possible, mais le texte européen indique que « les états membres ne peuvent ni adapter, ni conserver des mesures nationales sauf si le droit de l’Union l’autorise ». La liste peut être allongée. Les retards et les obstacles à l’indemnisation des victimes du Médiator sont un déni de reconnaissance des dysfonctionnements multiples qui ont permis le maintien de la commercialisation de ce produit, alors que les dangers liés à son usage et son faible intérêt thérapeutique étaient connus, ainsi que les dérives de son usage comme coupe-faim. Un colloque sur les problèmes non résolus concernant les risques liés à l’amiante s’est tenu au Sénat en avril dernier.

Amiante

La nécessité d’un fichier de la présence d’amiante dans les habitations pour assurer la protection des ouvriers travaillant sur des locaux amiantés a été rappelée. Cette mesure proposée dans le rapport sur l’amiante de 1998 a été ensuite reconnue comme utile dans deux rapports parlementaires. Elle n’est toujours pas mise en œuvre et elle n’est pas prévue dans la loi de santé publique en discussion. Un propriétaire peut demander des devis jusqu’à ce qu’il en obtienne un d’une entreprise qui ne lui demande pas l’expertise amiante et exécutera les travaux sans la protection indispensable. Au lieu de produire des lois incompréhensibles et ingérables (226 697 caractères pour la loi de santé publique en discussion) il faut adopter des mesures simples, facilement applicables, notamment en utilisant des bases de données existantes et de qualité.
Le fichier de l’imposition locale peut avoir une extension définie par la loi, recensant les facteurs de risque prévus dans les textes actuels. Elle éviterait les multiples démarches actuelles, permettant aux notaires, aux acheteurs potentiels et aux ouvriers travaillant sur une habitation d’obtenir immédiatement les renseignements indispensables. Les déficits de santé publique ont une motivation politique commune, la crainte de déplaire à une fraction de la population alors que les bénéfices attendus sont sans commune mesure avec leurs inconvénients. Les conséquences économiques sont souvent mises en avant dans des études partielles pour s’opposer à des décisions qui s’imposent.
Une actualisation du coût de l’alcool et du tabac en France vient d’être réalisée par l’économiste Pierre Kopp : 120 milliards d’euros pour chacune de ces drogues dont l’usage est légal, ce qui impose de ne pas faire n’importe quoi au niveau de leur promotion. Une conférence sur le climat va se tenir à Paris en décembre prochain. Un tiers de notre consommation de pétrole est utilisé pour le transport routier et nous savons que la vitesse optimale hors agglomération pour réduire la consommation d’une voiture est de 80 km/h. Dans le même temps, le gouvernement refuse la proposition d’abaisser à ce niveau la vitesse maximale sur les routes qui ne séparent pas les deux sens de circulation, alors que la moitié des accidents mortels sont observés sur ce type de voie hors agglomération. Nous savons que cette conférence sera un échec.
L’aggravation des dommages produits par le dérèglement climatique est une évidence et nous nous refusons à prendre des mesures immédiates. Il est tellement plus facile de prendre des engagements à 10 ou 15 ans au lieu de mettre en œuvre immédiatement une mesure comportant de multiples avantages. De telles situations expriment une dérive grave de notre fonctionnement politique. La procrastination et la complexité sont devenues des outils destructeurs. Privilégier des intérêts économiques très partiels, le court terme et des sondages effectués sans présentation des enjeux, est des comportements qui expriment un manque de courage dangereux pour la collectivité.
Gérard Dubois, Irène Frachon, Claude Got, Catherine Hill, Albert Hirsch et Chantal Perrichon, médecins.
CollectifAddictions

En Suisse, les jeunes femmes s’enivrent plus souvent

L’Office fédéral de la santé publique sonde la population sur sa consommation de tabac, d’alcool et de cannabis. Les excès occasionnels augmentent
Une personne sur quatre fume, une sur cinq boit trop d’alcool et 3% de la population consomme du cannabis, selon le Monitorage des addictions pour l’année 2014, publié ce lundi par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Réalisé chaque année depuis 2011 auprès de 11 000 personnes, ce sondage se penche sur l’usage de substances psychoactives en Suisse.

Deux fois plus d’ivresses ponctuelles chez les jeunes

La consommation excessive d’alcool a tendance à augmenter légèrement. Les jeunes entre 20 et 24 ans sont les plus concernés: près de 40% d’entre eux ont connu au moins une ivresse ponctuelle au cours du mois précédant le sondage, contre 18,8% de la population globale (à partir de quatre verres d’alcool en quelques heures pour les femmes, cinq pour les hommes).
L’abus occasionnel d’alcool augmente en particulier chez les femmes. Elles sont 12,7% à admettre au moins un excès récent, contre 9,4% en 2011.
Les experts de la prévention expliquent cette tendance par l’accessibilité de l’alcool sur le marché - le prix du vin et des spiritueux ayant baissé au cours des dernières décennies - et un marketing davantage ciblé sur la clientèle féminine. «La consommation d’alcool par les femmes est socialement mieux acceptée», souligne Corine Kibora, d'Addiction Suisse.
La part de buveurs chroniques (plus de deux verres par jour pour les femmes, quatre pour les hommes) reste stable en revanche, autour de 4% de la population. Ce sont surtout des personnes entre 65 et 74 ans (8,1%).
Ces résultats confirment un changement dans les modes de consommation, avec un déplacement vers un usage plus occasionnel, parfois en plus grande quantité. «C'est aussi le reflet d'un mode de vie axé sur la performance: on ne peut se permettre de boire beaucoup chaque jour, mais on lâche la pression en fin de semaine», souligne Corine Kibora.
Autre constat: les Romands ont une consommation plus risquée que les Alémaniques ou les Tessinois. Alors qu’en Suisse alémanique, l’excès d’alcool ponctuel touche 18% de la population et 11,5% au Tessin, ce taux grimpe à 22,8% dans les régions francophones.

La cigarette électronique en hausse

La cigarette électronique opère une percée: 14% des personnes sondées l’ont essayée au moins une fois, contre 6,7% en 2011. La plupart ont entre 15 et 25 ans et utilisent l’e-cigarette dans le but de réduire leur consommation de tabac. Mais seuls 0,7% de la population vapote régulièrement (au moins une fois par semaine). La consommation de tabac reste plutôt stable depuis cinq ans: un quart des sondés (25%) fument quotidiennement.
La part d’adeptes de cannabis dans la population reste également stable, autour de 3%. Cette substance est prisée surtout des jeunes entre 15 et 24 ans: 21% d’entre eux disent avoir consommé de l’herbe durant le mois précédant le sondage.
Pour toutes les substances, ce sont toujours les jeunes qui présentent la consommation la plus risquée, conclut l’OFSP, les 15-25 ans doivent donc «faire l’objet d’une attention particulière dans les programmes de prévention».
http://www.letemps.ch/suisse/2015/10/12/suisse-jeunes-femmes-s-enivrent-plus-souvent 

La chirurgie esthétique est-elle désormais la moindre des politesses?

Etre et paraître n’ont jamais 
été aussi confondus. À l’heure 
où chacun est tenu d’être en bonne 
santé et de le montrer, 
peut-on encore afficher ses rides 
sans passer pour négligé? 
Ce ne sera pas forcément le bistouri. Mais la seringue pleine de toxines, oui, sans doute. Et puis, à force, avec le temps, l’idée du bistouri aura fait son chemin. Vous ne le savez pas encore, mais, d’une manière ou d’une autre, vous aurez recours à la médecine esthétique. C’est d’autant plus certain si vous êtes une femme, mais les hommes n’échapperont pas à la question. Car aujourd’hui, soigner son apparence est devenu la moindre des politesses sociales.
La faute aux réseaux sociaux et à la société narcissique qu’ils engendrent? Pas uniquement. Les progrès de la médecine et les efforts liés à la prévention du vieillissement sont aussi à l’origine de cette évolution. Sans compter que la chirurgie esthétique elle-même a changé, avec des interventions moins lourdes et moins invasives. L’information à son sujet, grâce au partage d’expériences sur Internet, circule mieux et contribue à la rendre moins stigmatisante et taboue. À force, les normes qui définissent une apparence soignée deviennent toujours plus exigeantes: une femme de 50 ans aujourd’hui, dans l’œil de la société, ne ressemble plus du tout à une femme de 50 ans d’il y a 50 ans. D’où une pression sociale augmentée sur celles qui n’y ont pas recours. Pour s’en convaincre, commençons par rappeler combien, bien avant le lifting et le Botox, le maquillage et la teinture des cheveux ont évolué dans leur signification sociale. Associé à la superficialité, à la séduction, et donc à la sexualité, leur usage a toujours été codifié par la morale, comme le rappelle Marie-Thérèse Duflos-Priot dans un article intitulé «Le maquillage, séduction protocolaire et artifice normalisé».
Maquillage interdit
Jusqu’à peu, le maquillage était strictement interdit aux jeunes filles réputées pures, toléré chez les femmes vertueuses à condition qu’il soit discret et signalait les femmes légères s’il était ostensible. De nos jours, à tout âge, une femme qui sort de chez elle sans maquillage, sans camoufler son acné ou ses rides, passe pour négligée. Et rares sont celles qui ne couvrent pas leurs cheveux gris, même passé l’âge de la retraite. Car la bienséance, désormais, est moins sexuelle que sanitaire et consiste avant tout à s’afficher jeune, en bonne santé et bien dans sa peau.
Cette évolution sociale est intimement liée à celle de la médecine elle-même, et des politiques sanitaires qui ont fait de la prévention une dimension centrale de leur discours. Vincent Barras, historien de la médecine au CHUV: «Dès lors que certains comportements individuels ont été identifiés comme des problèmes de santé publique, ils commencent à être pointés du doigt. La prévention du tabagisme a ouvert la voie. Puis c’est la prévention de l’obésité qui est devenue prioritaire, avec la multiplication des injonctions liées à l’hygiène de vie et à l’activité physique. Etre bien, c’est aussi être beau. On passe d’une médecine paternaliste à l’ère où chaque individu est tenu pour responsable, aux yeux de la société, de l’entretien de sa propre santé.»
Bonne mine obligatoire
Aujourd’hui, avec le vieillissement démographique des sociétés industrialisées, c’est la prévention de la vieillesse elle-même qui semble devenue prioritaire. Et de fait, on vit désormais toujours plus longtemps en bonne santé. Le problème, c’est qu’il ne suffit plus de se sentir en forme. Il faut aussi en avoir l’air: «Avec l’âge, l’image que l’on a de soi, et celle que nous renvoient les autres, ou notre propre miroir, est toujours plus en décalage», commente Pierre Quinodoz, président de la Société suisse de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique. «Qui ne s’est jamais réveillé en pleine forme, pour s’entendre dire par d’autres qu’il a l’air fatigué ou qu’il a mauvaise mine? Notre travail contribue au mieux-être des patients, puisqu’il tend à harmoniser l’image intérieure et l’image extérieure.» Parallèlement, l’affichage permanent de soi à travers les réseaux sociaux contribue largement à ce que se confondent l’être et le paraître. Le travail sur sa propre image, que ce soit par le maquillage ou la médecine esthétique, devient alors légitime dans la mesure où il concourt directement au bien-être psychologique. «Dans une société où chaque individu est renvoyé à se regarder, à s’observer, et à prendre soin de lui, l’apparence est devenue la mesure de sa propre valeur», estime Hélène Martin, professeure en études genre à la Haute Ecole de travail social et de santé. D’où, parfois, la détresse véritable que peuvent provoquer certains défauts d’apparence.
Injustice biologique
«En santé, il y a un lien entre nature et culture»Reproduire

science
mercredi 03  juin 2015

«En santé, il y a un lien entre nature et culture»

Catherine Mary
Margaret Lock: «Les variations des gènes et de leur expression résultent d’une longue évolution, dirigée par l’interaction du corps avec l’environnement.» (Timothy Archibald)
Margaret Lock: «Les variations des gènes et de leur expression résultent d’une longue évolution, dirigée par l’interaction du corps avec l’environnement.» (Timothy Archibald)
L’anthropologue Margaret Lock plaide pour la prise en compte des
sciences sociales dans l’élaboration des politiques sanitaires
Margaret Lock est anthropologue à l’Université McGill de
Montréal. Ses études sur la ménopause des femmes japonaises, menées
dans les années 1980, ont été couronnées de plusieurs prix, dont le
prestigieux Prix Staley de l’Ecole de recherche américaine. C’est à
partir de ce travail que la Canadienne a forgé le concept de «biologie
localisée», à l’origine d’un nouveau courant de l’anthropologie
médicale. Visant à étudier les variations du corps humain en relation
avec son environnement social, culturel et économique, ce courant est en
plein essor, sous l’impulsion des découvertes en épigénétique –
discipline qui entend décrire l’influence de l’environnement, au sens
large, sur l’expression du programme génétique.

Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, dont le plus récent, The Alzheimer Conundrum
(Princeton University Press, 2013), explore la frontière ténue entre le vieillissement et la folie, en revisitant le thème philosophique du normal et du pathologique.

Invitée à Genève pour un colloque de sciences humaines organisé par la Fondation Brocher sur le
thème «Epigénétique et environnement», elle s’inquiète des implications
politiques des études en épigénétique. Avec l’ensemble des participants
au colloque, elle lance un appel à la collaboration entre chercheurs en
sciences sociales et épigénéticiens, afin que soit mieux prise en compte
la complexité des interactions entre génome et environnement.

Vous
êtes à l’origine du concept de «biologie localisée», forgé à la suite
des études que vous avez menées au Japon sur la ménopause. Pouvez-vous
développer?


Margaret Lock: Ces études m’ont permis de montrer
que, si la ménopause survient au même âge chez les femmes japonaises et
chez les femmes nord-américaines, certains symptômes qui lui sont
associés diffèrent. Les bouffées de chaleur ou les suées nocturnes sont
moins fréquentes chez les femmes japonaises que chez les femmes vivant
au Canada et aux Etats-Unis, au même titre que l’ostéoporose, les
maladies cardiaques et le cancer du sein, comme cela avait été montré
précédemment. La perception de la ménopause diffère également: le terme
employé dans la langue japonaise évoque une évolution vers une période
de vie plus spirituelle, et la fin des menstruations n’en est qu’un
élément, une vision positive très différente de la nôtre.

Cesobservations viennent contredire la vision médicale, qui considère la
ménopause comme un processus universel associé à un ensemble de
symptômes inévitables. La survenue de ces symptômes dépend aussi de
facteurs socioculturels. La ménopause telle qu’elle est perçue par la
médecine occidentale est une construction culturelle. Le concept de
«biologie localisée» vient démonter cette construction, en attirant
l’attention sur la complexité des facteurs qui influencent la ménopause.
Le terme a été inventé en 1821 par Charles Gardanne, un médecin
français, et s’est mis à circuler au milieu du XIXe siècle dans les
cercles médicaux en Europe et en Amérique du Nord pour désigner la
période entourant la fin des cycles menstruels.

Endivisant la vie des femmes en un «avant» et un «après» ménopause, la
médecine occidentale a ainsi gardé une emprise sur leur corps. De là est
née la perception selon laquelle la ménopause était l’affaire de la
médecine, à l’époque même où les professions de gynécologue et
d’obstétricien étaient en train de se structurer.

Quelle a été la portée de ce concept?

– Au départ, beaucoup d’anthropologues étaient réticents
et ont ignoré mon approche, car elle remet en question l’idée selon
laquelle le savoir médical est porteur d’une vérité sur le corps humain.
Mais lorsque mon livre Encounters with Aging: Mythologies of Menopause in Japan and North America
(University of California Press, 1993) a reçu le Prix Staley, cela a
attiré l’attention sur mes travaux. Le concept de biologie localisée
s’est imposé progressivement et de nombreux jeunes anthropologues
s’appuient aujourd’hui sur lui.

Depuis une dizaine
d’années, les découvertes en épigénétique fournissent des arguments
scientifiques à l’existence d’un lien entre nature et culture, d’où
l’importance des études en biologie localisée. Le fonctionnement du
génome d’une personne, comme celui de son corps, s’explique sous cet
angle. Les variations des gènes et de leur expression résultent d’une
longue évolution, dirigée par l’interaction du corps avec
l’environnement, qu’il s’agisse des habitudes alimentaires, des
comportements ou des pollutions environnementales. Ces facteurs sont
d’ordre culturel mais aussi historique et socio-économique.

Aujourd’hui, vous proposez le nouveau concept de «biologie située». Pourquoi?

– Le concept de «biologie localisée» vient ébranler la
vision du corps biologique universel forgée par la science. Il traduit
l’enchevêtrement entre les facteurs biologiques, sociaux et
environnementaux qui influencent tout au long de la vie les processus
biologiques. Ces interactions sont d’autant plus dynamiques
qu’aujourd’hui les mouvements de populations sont incessants. Les
variations biologiques du corps que nous observons sont l’équivalent
d’un instantané figeant ces mouvements. Le corps humain est bien sûr
toujours le même, mais il existe des différences moléculaires
importantes liées au fait que le corps est situé dans un environnement
spécifique, à un instant donné. Le concept de «biologie située» traduit
cela.

Vous mettez en garde contre la construction
d’un nouveau discours médical à partir des découvertes en épigénétique.
De quoi s’agit-il?


– Les recherches en épigénétique révèlent la base
moléculaire de l’influence de l’environnement sur notre organisme. A
partir de là, de nouveaux médicaments sont développés. Les
anthropologues et les historiens réunis à la Fondation Brocher ont
exprimé leur inquiétude au sujet de cette tendance.

Cesnouveaux médicaments ciblent en grande partie le cancer, et dans ce cas,
bien sûr, ils sont utiles. En revanche, nous sommes préoccupés par les
retombées de l’épigénétique dite comportementale. De nombreuses études
établissent des liens entre la base moléculaire de maladies mentales
comme la dépression et des facteurs socio-économiques comme la pauvreté,
avec à la clé un traitement ou une recommandation. En 2011, une
recommandation de l’Académie américaine de pédiatrie visait ainsi à
prévenir les risques à long terme pour le fœtus du «mauvais» stress
durant la grossesse.

Or, ces liens sont beaucoup plus complexes. Le racisme et la discrimination qui touchent par exemple les Afro-Américains aux Etats-Unis sont à l’origine des mauvaises conditions
socio-économiques. Il s’agit là de choix politiques qui relèvent de la
responsabilité des sociétés.

Les épigénéticiens en  général ne se sentent pas concernés par ces enjeux et c’est à nous,
anthropologues, de leur donner une visibilité. Nous plaidons contre
l’hégémonie du savoir scientifique et pour que les connaissances issues
des sciences sociales soient prises en considération pour l’élaboration
des politiques de santé. Si on veut vraiment tirer parti des découvertes
en épigénétique, nous devons considérer que les sociétés qui
encouragent la violence chronique, les inégalités et les discriminations
violent le droit à la santé de leurs citoyens et des générations à  venir



Rituels de beauté et de soin des belles d'Afrique

Laurence Dardenne Publié le - Mis à jour le
Mode et beauté Dans des "salles de bains laboratoires", sur tous les continents, des équipes de L’Oréal scrutent et décortiquent les moindres faits et gestes d’hygiène et d’esthétique des femmes pour leur proposer les produits les plus adaptés. Pourquoi la femme d'Afrique subsaharienne utilise-t-elle, dans ses routines de beauté capillaire, une pommade pour soulager le cuir chevelu, une lotion hydratante pour lutter contre la casse des cheveux, un shampoing démêlant, une crème défrisante et une huile - de coco, par exemple - pour favoriser la pousse des cheveux ? Combien de minutes une Chinoise consacre-t-elle à ses gestes de soin du matin ? Pourquoi la femme japonaise donne-t-elle parfois jusqu’à 100 petits coups de mascara sur ses cils alors que la Française peut se contenter de quelques-uns ?
Tout simplement parce que des cils fins, raides et courts ne se maquillent pas comme des cils denses, courbes et longs. Ou parce que le cheveu frisé ou crépu de la femme africaine présente, entre autres particularités, une sécheresse importante, liée à la faible production de sébum.
Répétés inlassablement, parfois depuis la nuit des temps même s’ils ont évolué au fil des ans, ces gestes de beauté, éminemment culturels, ont été transmis de génération en génération. Qu’ils soient influencés par le climat, la typologie physiologique ou encore par les conditions de vie locales, ils tendent tous vers un idéal de beauté, qui diffère d’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre, voire d’une région ou localité à l’autre.
Pour connaître avec précision les gestes de soin et de beauté des habitants de cette planète, pour mieux comprendre les us et coutumes et, in fine, répondre au plus près aux besoins spécifiques des hommes et des femmes de tous les continents, L’Oréal développe depuis plusieurs années une science de l’observation locale : la géocosmétique. C’est ainsi que, dans des "salles de bains laboratoires", dotées de caméras, des équipes des principaux centres d’évaluation présents dans le monde entier observent, analysent et décortiquent les comportements spécifiques des consommateurs et consommatrices. Rituels d’hygiène et de beauté, conditions d’utilisation des produits, contraintes locales (humidité, chaleur, basses températures…), tout est scruté, analysé par des sociologues et des éthologues, puis transmis aux équipes de recherche et développement.
Regroupés en six pôles (Europe, États-Unis, Japon, Chine, Inde et Brésil), les 22 centres de recherche ont pour mission d’adapter la stratégie mondiale aux spécificités de leur marché. Et pour vocation d’inventer de nouveaux produits qui répondront aux envies de beauté et aux besoins particuliers des populations finement observées.
Pour le marché japonais, ce sera par exemple un mascara à la texture légère parce que certaines Japonaises passeront jusqu’à 100 fois sur leurs cils. À destination des pays chauds, on développera des fonds de teint peu couvrants et longue tenue ou des formules absorbantes de sébum et de sueur pour les peaux luisantes.
À la découverte des secrets de beauté de toutes ces femmes, l’invitation au voyage, que nous offre L’Oréal, commencera en Afrique subsaharienne et se poursuivra en Inde, au Brésil et en Chine dans les prochains numéros de "Momento" (prochain rendez-vous le 5 septembre).
Première étape, l’Afrique subsaharienne, là où le choix du style de coiffure est révélateur de tout un système de code social, qu’il s’agisse de garder ses cheveux au naturel ou, au contraire, d’opter pour du plus sophistiqué (nattes, tissage ou extensions). Là aussi où le soin du cheveu s’avère bien plus important que celui accordé au reste du corps.

Trois critères de coiffure

Les femmes choisissent leurs coiffures en fonction des événements importants (mariage, nouvel emploi), des tendances, de leurs moyens financiers et enfin des saisons. La coiffure est la combinaison de trois critères : le look final que l’on voit (cheveux lisses, tressés, nattés ou port de cheveux au naturel : afro, locks, cheveux courts, etc.), l’utilisation de défrisant et l’ajout de cheveux (extensions ou tissages, qui offrent une grande variété de choix de coiffure : longs, courts, frange, mèche, coloration, etc).

L'hydratation est au coeur des rituels

Dès le plus jeune âge, les Africaines s’hydratent le visage, le corps et les cheveux par nécessité physique. L’objectif est de conserver la jeunesse de la peau, d’embellir le corps, mais aussi de lutter contre les taches et les cicatrices. La peau idéale est donc une peau ferme et hydratée. Le choix d’utilisation de produits différents se fait par saisonnalité : une crème plus légère en saison chaude et une crème plus épaisse et nourrissante en saison des pluies, saison "fraîche". Les femmes utilisent peu de produits de beauté en journée et concentrent leurs rituels de beauté au coucher. Les causes de ce choix sont multiples : transpiration due à la chaleur, poussière, soleil, pollution. Tous ces éléments ont tendance à boucher les pores de la peau et donc à réduire les effets des produits utilisés.

Le jour et la nuit, des soins appropriés

Le jour, les consommatrices vont opter pour une simple lotion purifiante. Certaines femmes utilisent une crème de jour pour se protéger de l’exposition aux rayons solaires. Paradoxalement, les femmes se maquillent également mais dans une volonté d’embellissement plus que de soin. Poudres, crayons de beauté, gloss sont les bases de la mise en beauté. Les bons produits sont ceux de bonne tenue qui ne coulent pas. La nuit, sur le visage, est appliquée une crème de nuit plus nourrissante et plus adoucissante que la crème de jour. Pour le corps, les Africaines alternent les produits : lait surgras (peau sèche et sensible), crème (contenant par exemple 4 huiles différentes bio), huile corporelle.

Les soins capillaires à domicile et en salon

En Afrique subsaharienne, les soins capillaires se font à domicile et en salon. En effet, les salons de coiffure sont fréquentés de manière hebdomadaire à mensuelle, en fonction des revenus mais aussi du type de coiffure : nattes, tissages, extensions ou cheveux au naturel. Il y a plusieurs types de salons, de ceux en extérieur autour des marchés ou dans les quartiers populaires à ceux luxueux avec climatisation dans les grands "shopping malls". Entre ces salons, la grille tarifaire est très variable, du simple au décuple. Les salons proposent des produits d’une grande variété de marques.

Un cheveu très sec

La forme frisée du cheveu est biologiquement programmée par le follicule pileux, qui présente de nombreuses spécificités, dont une implantation oblique dans le derme et une courbure au niveau du bulbe. Une autre spécificité importante du cheveu crépu est sa sécheresse liée à la faible production de sébum. Au-delà des spécificités biologiques, certaines pratiques de coiffure fragilisent également le cheveu - le tressage (trop serré, il fragilise le cheveu et le cuir chevelu), le défrisage (lorsqu’il est réalisé avec des produits de mauvaise qualité ou mal rincé) ainsi que le fer à lisser peuvent provoquer de multiples pathologies.
http://www.lalibre.be/lifestyle/mode/rituels-de-beaute-et-de-soin-des-belles-d-afrique-55d5d09635708aa4379ef8c0

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