OPINIONS
Une opinion de Christine Destexhe, juriste.
Les patients voient dans leur docteur, leur sauveur, celui qui mettra tout en œuvre pour essayer de les guérir, pour chercher toutes les pistes thérapeutiques possibles, pour les rassurer.
Alors lorsqu'on annonce d'emblée : "Votre maladie est incurable et inopérable. Nous ne pouvons rien faire pour vous. Et vous non plus, vous ne pouvez rien y faire, malheureusement", le patient reste pantois, perdu entre l'incrédulité, la révolte et le désespoir.
Une expérience impensable
Telle fut ma malheureuse expérience lorsqu’on m'a découvert par hasard un cancer avancé et de nombreuses métastases dans différents organes, début 2017. Encore jeune, je me sentais pourtant et me sens toujours aujourd’hui en pleine forme.
Lors de ma première rencontre avec l'oncologue, celui-ci m'affirma très froidement "Vous ne guérirez jamais, absolument jamais. Il n'existe aucune thérapie efficace pour vous car votre maladie est trop rare aux yeux des sociétés pharmaceutiques. Vous en avez pour 12 mois maximum à vivre. Et si, par chance, si vous dépassez cette durée, je publierai un article médical sur votre cas, mais je doute que ça arrive".
Baf ! Long silence. Le regard hagard, mon corps se pétrifia. Le choc fut indescriptible.
Et depuis lors, je n'ai entendu que des affirmations du même genre.
Ces mauvaises expériences sont d’ailleurs corroborées par les témoignages d'autres malades à qui leurs diagnostics ont été annoncés de façon similaire.
Le pronostic comme une condamnation à mort
Il est où le serment d’Hippocrate, ce devoir de mettre tout en œuvre pour essayer de guérir ? Le médecin est-il un juge qui se donne le droit de condamner à mort, sans aucun espoir de libération conditionnelle ou de grâce ? (Je suis juriste, d'où mes références au droit pénal).
Sans aucune possibilité de sortir un jour de prison, les prisonniers deviennent fous, agissent comme des bêtes sauvages dans leurs cages. La seule issue qui leur reste est de se laisser mourir, ou d'accélérer cette mort par le suicide. Leur vie n'a plus aucun sens.
Il n'y a jamais de "faux" espoirs
A ma question "Comment pouvez-vous être aussi sûrs de votre pronostic ?", les oncologues me répondent "On ne veut pas vous donner de faux espoirs".
Mais il n'y a pas de "faux" espoir. Un espoir est par définition une hypothèse sans certitude concernant l'issue. Il y a donc des chances que l’événement espéré se produise ou bien qu'il ne se produise pas. Un espoir ne peut donc être faux. Il n'existe aucune certitude en médecine. Il serait bien prétentieux de l'affirmer en tout cas.
L'impact des mots sur le mental des patients
Imaginez l'effet suggestif "nocébo" que les paroles sombres et destructrices de certains médecins peuvent avoir sur les patients. Le terme nocébo, par opposition au placébo, est ce qui crée chez un individu, des effets psychosomatiques néfastes, la conviction qu'il va tomber malade ou mourir, ce qui finira par se produire en réalité.
Imaginez les émotions, les pensées négatives, le stress, la dépression profonde qu'un pronostic sans issue engendre. On est face à une mort programmée, au sort jeté par un vaudou. Dans ce cas, pourquoi allonger le calvaire psychologie que cela engendre. Autant se suicider directement.
Le patient a besoin de contribuer activement à sa guérison
A ma question "Comment puis-je augmenter mes chances de survivre ou, mieux, de guérir ?", je me suis entendue dire "Rien, Madame. Vous ne pouvez rien y faire. Profitez de la vie tant que vous pouvez". La réponse est sage, certes. Mais cela crée une frustration énorme car elle anéantit encore davantage le moral. Le patient a un besoin vital de contribuer activement à sa guérison.
Alors comment un médecin devrait-il annoncer un diagnostic sombre ?
Chaque patient est différent, bien entendu. Certains sont émotifs ou fragiles, d'autres cartésiens, d'autres défaitistes, d'autres insouciants ou dans le déni. Mais cela n'empêche nullement une communication correcte et sans ambiguïtés de la vérité, tout en restant rassurant.
Pour exemple, avec un ton plein de bienveillance : "Même s’ils ne représentent pas la majorité des cas, des patients comme vous s'en sont sortis. La médecine n'est pas absolue. Des rémissions se produisent sans qu'on puisse déterminer les raisons. La science évolue chaque jour. Nous allons tout faire pour que vous soyez du bon côté des statistiques (en expliquant les différents traitements possibles). Mettez-vous dans la tête que vous allez survivre. Croyez en votre chance. Ensemble, nous allons essayer d'y arriver. On fera aussi tout pour qu’au quotidien, vous le viviez le mieux possible. J'utiliserai toutes mes compétences et connaissances comme si je le faisais pour moi-même. Je chercherai pour vous de nouvelles thérapies ou solutions dès qu’elles seront accessibles. Et vous aussi, vous pouvez contribuer à augmenter vos chances et diminuer les effets secondaires. Adaptez votre alimentation (avec plus de conseils précis), méditez chaque jour, reconnectez-vous à la nature, bougez dans la mesure du possible, entourez-vous de proches qui croient en votre guérison et qui sont positifs. C’est un travail quotidien. Mettons toutes les chances de votre côté. Vous pouvez y arriver. Il faut y croire".
Revenons à la sagesse d'Hippocrate tout simplement.