mercredi 26 avril 2017

PORTRAITS



L'augmentation de capital sera plus efficace, moins chère et provoquera moins de dilution qu'une mise en bourse de l'entité suisse, a déclaré Tidjane Thiam, directeur général de Credit Suisse.
© Reuters

Placements

L’augmentation de capital de Credit Suisse convainc les marchés

Il n’y aura pas de mise en bourse partielle de l’entité suisse de la banque. A la place, elle prévoit de lever 4 milliards. Une solution jugée préférable pour les actionnaires
Ce serait la meilleure solution pour les investisseurs. Après des mois de suspense, Credit Suisse a annoncé mercredi matin sa décision de renoncer à l'introduction en bourse partielle de son entité suisse. A la place, la deuxième banque suisse prévoit une augmentation de capital, qui devrait permettre de lever 4 milliards de francs et, ainsi, consolider les fonds propres de l’établissement.
Lire aussi: La mue de Credit Suisse s’accélère
A voir la réaction de la bourse, les marchés apprécient. A l’ouverture, l’action de Credit Suisse bondissait de 2,5%. Une progression a priori paradoxale puisque le nombre de nouvelles actions créées provoquera une dilution des actions, précisément de 18%, calcule Loïc Bhend, analyste spécialisé dans le secteur bancaire chez Bordier.

«Bonne idée»

«Cette décision était de plus en plus attendue, avec une levée de fonds imaginée dans une fourchette de 3 à 5 milliards», explique l’expert de la banque genevoise. Pour lui, «c’est plutôt une bonne idée à plus long terme. Cela implique qu’ils gardent cette activité dont le rendement sur les fonds propres est élevé.» Cet aspect avait commencé à provoquer des désaccords au sein même de Credit Suisse, certains estimant néfaste de se débarrasser de l’entité la plus rémunératrice du groupe.
«Nous croyons que de continuer de posséder entièrement à l’avenir une banque suisse de valeur est le chemin» qui portera le plus de fruits pour les actionnaires, a déclaré Urs Rohner, président du conseil d’administration, dans le communiqué. Dans une conférence téléphonique, Tidjane Thiam, directeur général, a expliqué que cette option serait «plus efficace, moins chère et provoquerait moins de dilution pour les actionnaires». Il a ajouté que Credit Suisse n’avait pas fondamentalement changé sa stratégie. «Nous avons toujours dit vouloir lever entre 9 et 11 milliards, la question du comment, pour cette dernière étape, restait ouverte.»

Focus sur la croissance

Le sujet ne sera pas abordé vendredi lors de l’assemblée générale ordinaire, mais le 18 mai lors d’une assemblée générale extraordinaire. Les souscriptions pourront commencer le 23 mai et les montants devraient être levés d’ici au 8 juin. Quelque 380 millions de nouvelles actions d'une valeur nominale de 4 centimes seront mises sur les marchés. Le but est de renforcer le ratio de fonds propres durs à 13,4%, contre 11,7% à fin mars. Le ratio d’endettement (leverage ratio) devrait atteindre 3,8%.
Pour Morgan Stanley, cette issue était prévisible. «Elle permettra désormais à Credit Suisse de se concentrer sur ses objectifs de croissance», se réjouissent les analystes dans une note. Ces derniers ont une perspective positive sur le titre.

Les bonus en baisse? «Un geste»

Interrogé sur la polémique qui s’est enflammée sur la distribution des bonus, Tidjane Thiam a dit comprendre les préoccupations et expliqué avoir voulu «faire un geste pour les apaiser, sans avoir subi de pression de quiconque». Sur les rumeurs qu’il donnerait sa démission en cas de refus des bonus, le responsable n’a pas commenté. Les porte-parole de la banque avaient déjà réfuté ces spéculations, parues dans le Financial Times mardi.
A ce propos: Sous la pression, Credit Suisse coupe dans ses bonus

Bénéfice au premier trimestre

«Je n’aurais pas pu souhaiter un meilleur trimestre», a déclaré Tidjane Thiam, présentant les résultats pour les trois premiers mois de l’année mercredi matin. Ils sont en effet meilleurs que ce qu’attendaient les analystes. En termes de chiffres, ce «solide démarrage» se traduit par un bénéfice avant impôts de 670 millions de francs. L’an dernier à la même période, Credit Suisse perdait près d’un demi-milliard. Le bénéfice net atteint 596 millions, contre une perte nette de 302 millions l’an dernier.
La performance du premier trimestre vient en grande partie de l’entité suisse, qui a produit un bénéfice avant impôts ajusté de 483 millions, en hausse de 2% sur un an. Il s’agit de son cinquième trimestre consécutif de hausse.

Afflux de fonds

Credit Suisse s’est également félicité de l’afflux net de fonds qui continue. Au premier trimestre, il s’est élevé à 24,4 milliards, contre des retraits de 6,7 milliards au premier trimestre 2016. La masse sous gestion atteint désormais 1304,2 milliards de francs.
La banque d’investissement, comme la gestion fortune, ont aussi enregistré des résultats positifs. Pour l’ensemble de 2017, Credit Suisse confirme son objectif de réduction des coûts à 18,5 milliards de francs. Lors de la conférence téléphonique, Tidjane Thiam a expliqué que les enjeux les plus pressants sont désormais sous contrôle ou proches de l’être (renforcement du capital, baisse des coûts, etc.) mais «l’effort d’amélioration ne s’arrêtera jamais»

Tidjane Thiam, patron de Credit Suisse, a été sous le feu des critiques l’été dernier. Les rafales se sont calmées depuis.
© ENNIO LEANZA
https://www.letemps.ch/economie/2017/04/26/laugmentation-capital-credit-suisse-convainc-marches 


Editorial 

Tidjane Thiam, ni paria, ni messie

Depuis son entrée en fonction, les investisseurs ont regardé Tidjane Thiam, son programme et ses objectifs avec, souvent, beaucoup de scepticisme. Le patron de la deuxième banque suisse a pourtant peut-être réalisé l’amorce de son redressement
Il y a deux façons de voir les résultats de Credit Suisse. Soit on s’attarde sur la perte sèche subie en 2016, la deuxième d’affilée, conséquence d’une nouvelle amende faramineuse (plus de 5 milliards de francs) infligée par les autorités américaines. De la même manière, on peut aussi rester focalisé sur la restructuration qui touche cette banque depuis l’arrivée de son nouveau directeur général, Tidjane Thiam, en juillet 2015. Les réductions d’effectifs font des ravages dans la banque d’affaires, à Londres et à New York surtout. Mais elles en font aussi dans les filiales en Suisse.
Il est pourtant possible de lire une autre histoire dans les annonces de la deuxième banque suisse mardi. Celle de l’amorce du redressement d’une banque en état de déliquescence lorsque le Franco-Ivorien en a pris les rênes à l’été 2015.

Ne pas brader le joyau

L’ex-responsable de l’assureur britannique Prudential s’était fixé plusieurs missions à son arrivée. Parmi les plus urgentes et vitales: renforcer l’assise financière de Credit Suisse. Vite fait, mais (bien) fait. A tel point qu’en plus de l’augmentation de capital réalisée il y a plus d’une année, la deuxième étape pour lever des fonds – introduire en bourse une partie de l’entité suisse de la banque – ne sera peut-être pas nécessaire. C’est ce que laisse supposer le changement de ton dans le communiqué et des rumeurs venant du conseil d’administration, réticent à céder ce qu’il considère comme le «joyau» de la banque, l’entité la plus rentable du groupe.
Lire aussi: Credit Suisse dépend plus que jamais de son unité helvétique
Si les années et les pertes se succèdent, sous l’ère Thiam, c’est aussi parce que le nouveau venu a entrepris un grand nettoyage, synonyme de découverte de cadavres du passé plombant les comptes. C’était le cas lors de la publication des résultats de 2015, avec l’amortissement d’actifs survalorisés issus de l’acquisition de DLJ en 2000.

Attentes normales

Aujourd’hui, le programme de réduction des coûts et de la taille de la banque d’affaires est en bonne voie. Les affaires du passé – subprimes, clientèle américaine – semblent réglées. Accueilli comme le messie capable de sauver une banque sclérosée lors de sa nomination, Tidjane Thiam s’est trouvé à deux doigts de devenir le paria de la Paradeplatz l’été dernier lorsque l’action de Credit Suisse est tombée sous les 10 francs pour la première fois depuis la fin des années 1980. Il semble aujourd’hui redevenu un dirigeant soumis à des attentes à peu près normales.
La banque peut désormais se concentrer sur sa croissance et sa rentabilité. Tidjane Thiam s’était fixé deux ans pour y arriver, lors de la première présentation de sa stratégie en octobre 2015. Il avait alors révélé des objectifs jugés – au mieux – trop ambitieux ou – au pire – irréalistes. Il les a depuis revus à la baisse. Reste à voir s’ils sont tenables.
Le vrai test, donc, sera pour la fin de l’année.
Lire aussi: Tidjane Thiam, un banquier sous pression
Tidjane Thiam, l’homme qui n’était pas banquier, prend la tête de Credit Suisse - LeTemps.ch
Portrait
16:47

Tidjane Thiam, l’homme qui n’était pas banquier, prend la tête de Credit Suisse

Tidjane Thiam et Brady Dougan. (AFP)
Tidjane Thiam et Brady Dougan. (AFP)
Le Franco-Ivorien est nommé directeur général de la banque suisse. A
52 ans, l’ancien ministre de Côte d’Ivoire présente un parcours
atypique
Tidjane Thiam s’est longtemps plaint du «plafond de
verre» auquel il s’est heurté en France. Ingénieur sortant major de sa
promotion de la prestigieuse Ecole des Mines, polytechnicien, diplômé
d’un master de l’école de commerce Insead, il avait toutes les qualités
pour trouver un emploi de très haut niveau. Mais cet Ivoirien de
naissance, qui a la double nationalité franco-ivorienne, dit avoir
longtemps buté sur un racisme fait de non-dits qui lui a bloqué les plus
hautes marches des entreprises françaises. A tel point que quand un
chasseur de têtes l’a démarché pour rejoindre le groupe britannique
d’assurance Aviva en 2002, il a commencé par lui préciser au téléphone:
«Je suis Noir, francophone et je mesure 1,93 mètre.»

Tidjane
Thiam aura finalement réussi à briser le plafond de verre, non
seulement en France, mais aussi parmi les élites de la finance mondiale.
Nommé mardi directeur général de Credit Suisse, il n’est que le
deuxième Noir à arriver à la tête d’une grande banque internationale,
après Stanley O’Neal qui a dirigé Merrill Lynch jusqu’en 2007.

Partout
où il va, l’homme impose le respect. Assez direct, parlant de façon
très simple et relativement douce, qui tranche avec son imposant
physique, Tidjane Thiam a réussi une carrière spectaculaire. Ça n’a
pourtant pas du tout été un long fleuve tranquille.

Né en
1962, ce père de deux enfants est issu d’une grande famille de la
politique ivoirienne. Son père, Amadou Thiam, avait épousé une nièce du
président Félix Houphouët-Boigny. Nommé ministre de l’Information alors
que Tidjane avait 1 an, il est ensuite écarté du pouvoir, puis nommé
ambassadeur au Maroc, avant de redevenir ministre à la fin des années
1970.

Après une scolarité en Côte d’Ivoire, Tidjane Thiam
réussit des études brillantes supérieures en France. C’est à sa sortie
des études, après avoir défilé en 1984 comme polytechnicien sur les
Champs-Elysées le 14 juillet, qu’il se heurte au plafond de verre. C’est
un cabinet de consultants américain, McKinsey, qui le recrute. Il
travaille pour eux à Paris puis à New York. Mais quand le président
ivoirien Henri Konan Bédié l’invite en 1994 à revenir à son pays natal,
il n’hésite pas longtemps. Il devient le responsable du Bureau national
d’études techniques et de développement. Quatre ans plus tard, il est
promu pour devenir ministre du Plan. Quand arrive le coup d’Etat de
1999, Tidjane Thiam se retrouve sans emploi, sans carrière et sans plan
de secours.



Il rejoint le cabinet McKinsey, où il est promu associé,
et il reprend son travail de conseil auprès de compagnies d’assurance
et de banques. Trois ans plus tard, quand il est approché par le
britannique Aviva, il hésite pourtant. «J’étais prudent, raconte-t-il
dans l’émission de la BBC Desert Island Disc. C’est
difficile de travailler dans une langue qui n’est pas la vôtre.» Son ami
Richard Harvey, qui dirigeait alors Aviva, le convainc.

L’immigré
ivoirien qui travaillait en France devient alors un immigré français à
la City. «J’avais dit à un ami: «Quand même, être Noir dans ce milieu,
ce n’est pas facile.» Il m’a répondu: «Ne t’inquiète pas, tu es
Français, et à la City, c’est bien plus handicapant. Ton accent est
français.»

Devenu directeur financier d’Aviva, où il est
pressenti pour prendre la tête du groupe, il surprend tout le monde en
rejoignant Prudential en 2008, dont il devient le directeur général
l’année suivante. Tidjane Thiam tente alors un coup qui a failli lui
coûter sa carrière. Il trouve un accord avec le géant américain AIG pour
lui acheter sa filiale asiatique, AIA. Objectif: devenir le leader de
l’assurance vie dans cette région d’avenir. Le pari financier, à
35 milliards de dollars, est gigantesque. A tel point que c’est un échec
retentissant: les actionnaires de Prudential s’y opposent.

Stoïque
dans l’adversité, Tidjane Thiam fait face à une assemblée générale
houleuse en juin 2010, où de nombreux actionnaires réclament
publiquement sa tête. Il tient bon, reconnaît son échec et tourne la
page.

Cinq ans plus tard, il est salué de tous. Le cours
de bourse de Prudential a triplé, après une période d’expansion très
agressive. Le bénéfice opérationnel du groupe a augmenté de 14% en 2014,
dont un tiers est réalisé en Asie, un deuxième gros tiers aux
Etats-Unis et le reste au Royaume-Uni. «Il n’y a pas de meilleur moment
(pour quitter l’entreprise)», assure-t-il.

Une
interrogation revient cependant régulièrement à propos de son transfert à
Credit Suisse: Tidjane Thiam n’est pas un banquier. Il n’a jamais
travaillé pour une banque. Le pari à la tête de l’institution suisse est
risqué. Mais le Franco-Ivoirien a l’habitude de briser les plafonds de
verre.