Opinions Une opinion d'un collectif de citoyennes musulmanes(1).

En Belgique, les mesures en vue de refouler hors de la vie sociale les musulmanes portant le foulard se multiplient. Ne nous contraignez pas au repli communautaire, devenons des alliés.
Nous sommes des femmes qui vivons et agissons en Belgique. Nos pays d’origine, nos profils, engagements et centres d’intérêt sont très divers, mais les images que l’on produit de nous nous réduisent à une seule facette de notre identité dans laquelle on nous enferme : nous sommes musulmanes. Certaines d’entre nous se couvrent la tête d’un foulard que vous appelez "islamique". Pour la plupart, nous sommes croyantes. Mais, toutes, nous nous sentons assignées à une identité fantasmée qui nous met systématiquement dans le même sac que des assassins. De là vient la solidarité qui nous soude aujourd’hui, notamment entre "voilées" et "non voilées". C’est à partir de cette solidarité que nous nous adressons à vous. Et, aussi, à partir de toutes nos identités choisies, trop ignorées. Dont celle-ci : nous sommes féministes.
Nous vivons des temps difficiles. L’irruption sur le sol européen d’un terrorisme qui tue aveuglément au nom de l’islam a mis fin à l’illusion que nous pouvions nous tenir à l’écart des violences du monde. Que notre société cherche à se protéger, quoi de plus naturel ? Nos responsables répètent à l’envi qu’il faut éviter les amalgames et ne pas confondre une poignée de criminels avec la grande masse des musulman(e)s. Alors pourquoi a-t-on l’impression que c’est cette grande masse qui est systématiquement ciblée dans les discours et les pratiques ? La lamentable saga du "burkini" vient encore de l’illustrer. Tout ce vacarme pour quelques femmes qui ne se déshabillent pas comme il faudrait ! La pente naturelle de cette nouvelle hystérie française qui s’exporte déjà en Belgique, c’est l’interdiction des "signes religieux ostentatoires" dans tout l’espace public. Ça ne viserait une fois de plus que des femmes, pour l’immense majorité d’entre elles parfaitement inoffensives, et ça ne gênerait aucun terroriste en puissance. Est-ce ainsi qu’on pense éviter l’amalgame entre une toute petite minorité criminelle et l’ensemble de la population musulmane ?
Les interdits se multiplient
En Belgique, on n’a pas attendu le "burkini" pour prendre de multiples mesures en vue de refouler hors de la vie sociale les musulmanes portant le foulard. Les interdits se multiplient dans l’emploi comme dans l’enseignement. Dernières péripéties en date : à partir de la rentrée de septembre, deux écoles fréquentées par des adultes, à Bruxelles et à Liège(2), ont changé leur règlement d’ordre intérieur pour y interdire le foulard. Cela concernera plus d’une cinquantaine d’étudiantes en cours de scolarité. La Belgique va ici plus loin que la France qui limite l’interdiction du foulard à l’enseignement secondaire. Le candidat Sarkozy, qui court derrière le Front national, a déclaré vouloir étendre cette interdiction à l’enseignement supérieur. En Belgique, c’est déjà chose faite, sans aucun débat…
Seules des femmes sont concernées par toutes ces mesures. Ça ne vous choque pas ? Pourquoi aucun des interdits ne vise les "barbus" ? Ne serait-ce pas parce qu’il y a autant de barbes musulmanes que de barbes profanes et qu’il n’existe aucun moyen infaillible pour les distinguer ? N’est-ce pas là la preuve que la neutralité d’une apparence, cela ne veut rien dire et que la neutralité ou l’impartialité résident seulement dans les actes posés ?
Nous le voyons bien : ce foulard, celui de nos mères, de nos sœurs, de nos amies vous trouble. A la lumière du long combat des féministes d’Occident, mené notamment contre l’emprise d’une Eglise dominante, vous ne pouvez y voir qu’une régression. Nous devons à ce combat des libertés que nos mères et nos grands-mères n’auront souvent jamais connues. Nous pouvons désormais échapper à la tutelle masculine et nous ne nous en privons pas. En particulier, aucun homme, père, frère ou mari ne pourrait se permettre de nous imposer une tenue vestimentaire contre notre volonté - même si nous savons bien que ce n’est pas une règle générale. Toutes, nous sommes pleinement le produit de notre culture européenne, même si, pour beaucoup parmi nous, celle-ci est métissée d’un ailleurs. Pour celles d’entre nous qui le portent, le foulard ne saurait être un affront aux valeurs démocratiques puisque celles-ci sont aussi les nôtres. Il ne signifie absolument pas que nous jugerions "impudiques" les femmes qui s’habillent autrement. Comme féministes, nous défendrons toujours le droit des femmes d’ici et d’ailleurs à se construire leur propre chemin de vie, contre toutes les injonctions visant à les conformer de manière autoritaire à des prescriptions normatives.
Devenir des allié(e)s
Vous affirmez souvent que nos foulards sont des signes religieux. Mais qu’en savez-vous ? Certaines d’entre nous sont croyantes et pourtant ne le portent pas, ou plus. D’autres le portent dans la continuité d’un travail spirituel, ou par affirmation identitaire. D’autres encore par fidélité aux femmes de leur famille auxquelles ce foulard les relie. Souvent, toutes ces motivations s’imbriquent, s’enchaînent, évoluent dans le temps. Cette pluralité se traduit également dans les multiples manières de le porter. Pourquoi les femmes musulmanes échapperaient-elles à la diversité qui peut s’observer dans tous les groupes humains ?
Pourquoi vous raconter tout cela ? Pour que, à partir d’une meilleure compréhension mutuelle, nous puissions devenir vraiment des allié(e)s. Car nous ne serons jamais trop nombreuses pour combattre les injustices et les inégalités en tout genre, à commencer par celles qui frappent les femmes. Pour que vous cessiez de considérer celles d’entre nous qui portent le foulard comme, au choix, des mineures sous influence, des idiotes utiles ou des militantes perfides d’un dogme archaïque. Pour vous donner envie de nous rencontrer - toutes, et pas seulement celles qui ont les cheveux à l’air -, au lieu de nous tenir à l’écart et de nous contraindre ainsi au repli communautaire. Nous voulons vraiment faire société ensemble, avec nos ressemblances et nos différences. Chiche ?


---> (1) Sema Aydogan, Serpil Aygun, Layla Azzouzi, Malaa Ben Azzuz, Ouardia Derriche, Farah El Heilani, Khalissa El Abbadi, Tamimount Essaidi, Maria Florez Lopez, Marie Fontaine, Seyma Gelen, Malika Hamidi, Ihsane Haouach, Khaddija Haourigui, Eva Maria Jimenez Lamas, Julie Pascoët, Farida Tahar. Contact : citoyennesmusulmanes@gmail.com
---> (2) L’Institut d’enseignement de promotion sociale d’Uccle (Bruxelles), qui dépend de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et la Haute école de la province de Liège, qui dépend du pouvoir provincial. La plupart des Hautes écoles de l’enseignement officiel disposent déjà de tels règlements, ainsi – et c’est peut-être encore plus grave – que de très nombreux établissements de promotion sociale.
http://www.lalibre.be/debats/opinions/citoyennes-feministes-et-musulmanes-57dabba635704b54e6c338cc

Ceta: le populisme du gouvernement wallon

Contribution externe Publié le - Mis à jour le


Opinions
Une opinion de Laurent Hublet, conseiller "Agenda numérique" du ministre Alexander de Croo (Open VLD).

En clamant sa haine de la mondialisation, il s’aligne sur la stratégie du repli sur soi chère au parti conservateur anglais et à l’UKIP. Il faut oser préférer la raison à la haine et à la peur. En l’espace d’une semaine, le gouvernement wallon a pris des positions très fortes sur le libre-échange et sur l’évolution technologique. Ces deux sujets sont liés à des émotions qui imprègnent fortement le débat public occidental. S’il est bon que la classe politique s’empare de ces sujets, il est primordial que les réponses soient à la hauteur des enjeux. Il faut que la raison l’emporte sur la manipulation des émotions.

1. La colère face à la mondialisation (et le refus du CETA)
Essayons de partir de faits. D’après la Banque mondiale, le nombre de citoyens du monde vivant dans l’extrême pauvreté a été divisé par deux entre 2005 et 2015. 700 millions d’individus sont sortis de l’extrême pauvreté en l’espace d’une décennie. C’est du jamais vu dans l’histoire de l’humanité. L’un des facteurs expliquant cette évolution est la levée de barrières au libre-échange, en particulier avec l’Asie et l’Afrique. Autre fait : les classes populaires occidentales sont celles qui ont le moins bénéficié du libre-échange. Leurs revenus au cours des deux dernières décennies ont grosso modo stagné (bien que la situation diffère entre les pays occidentaux). En résumé, si les inégalités mondiales ont fortement décru, les inégalités à l’intérieur de la société occidentale ont connu le trajet inverse. Les classes populaires américaines et européennes se sentent flouées. Faut-il dès lors revenir en arrière et fermer nos marchés ? Certainement pas !
La crise de 1929 en est la preuve tragique : le retour au protectionnisme économique ne résout pas la problématique des inégalités. Bien au contraire, le protectionnisme engendre des périls politiques bien plus grands. Fermer nos marchés, c’est mettre en danger l’émergence d’une classe moyenne dans les pays du sud sans résoudre pour autant la colère des classes populaires occidentales envers leurs élites. En refusant le traité de libre-échange avec le Canada, le gouvernement wallon pense donner des gages à un électorat populaire sensible aux thèses du PTB. Il a raison de réagir, mais il se trompe de réponse. Tout comme le parti conservateur anglais s’est trompé en se rangeant aux thèses de UKIP lors de la campagne pour le Brexit. Une stratégie de repli sur soi n’est pas la bonne stratégie face à la colère.
2. La peur que les travailleurs soient remplacés par des robots
Christophe Lacroix, ministre wallon des Finances a proposé cette semaine de taxer les machines qui remplacent le personnel peu qualifié. Ce faisant, il fait écho à une autre émotion qui imprègne nos sociétés occidentales : la peur du remplacement de l’homme par la machine. Cette peur est parfaitement compréhensible : selon un rapport du Conseil supérieur de l’emploi (CSE) publié en juin 2016, 39 % de l’emploi belge est fortement susceptible d’être numérisé. On parle d’à peu près 2 millions d’emplois. Cela veut-il dire que ces 2 millions d’emplois vont disparaître bientôt en Belgique ? Absolument pas ! Le CSE estime qu’une bonne part des 43 000 emplois nets créés en Belgique en 2016 seront liés à la transformation numérique.
D’ici à 2020, les estimations de création nette d’emplois grâce au numérique vont de 50 000 à 300 000 en Belgique. Mais les emplois changent de nature. Ils requièrent de plus en plus de compétences numériques. Il est donc impératif d’accompagner pro-activement cette transformation. Comment ? En investissant massivement dans la formation. En faisant évoluer les mentalités. Nous devons tous oser nous transformer. Faire croire que l’on pourra ralentir l’évolution technologique en mettant une taxe sur l’innovation est un mensonge que paieront cher les travailleurs actuels et futurs. La Belgique et le Parti Socialiste wallon ont perdu cette semaine l’une de leurs grandes consciences, Roger Lallemand, père des législations sur l’avortement et l’euthanasie. Ces législations progressistes sont l’honneur de la Belgique. Puissent d’autres consciences, aujourd’hui, faire le pari de la raison et du progrès, face à la tentation du conservatisme et de la manipulation d’émotions nocives.
http://www.lalibre.be/debats/opinions/ceta-le-populisme-du-gouvernement-wallon-5810c4decd70fdfb1a582666