vendredi 30 octobre 2015

QUESTIONS METHODOLOGIQUES AU COURS D'UNE ANALYSE

Pourquoi l’étude d’Oxfam sur les personnes les plus riches est à prendre avec précaution

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Un sans-abri à Beyrouth, au Liban.

Soixante-deux personnes posséderaient autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité, soit 3,5 milliards d’individus environ. La comparaison, faite par l’ONG britannique Oxfam dans son étude annuelle sur les inégalités de patrimoine dans le monde, est édifiante, et c’est là son but. Mais si le constat qu’elle dresse n’est pas contestable, comme souvent, cette spectacularisation se fait au prix de quelques imprécisions méthodologiques.

1. Des chiffres repris du Crédit Suisse et de « Forbes »

De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la richesse ? Oxfam reprend en réalité l’essentiel de ses données d’une étude faite chaque année par le Crédit Suisse : le « Global wealth databook » (annuaire de la richesse mondiale). L’étude la plus sérieuse et la plus complète sur le sujet, assure l’ONG.
Pour cette étude sur la richesse, la banque recourt à des enquêtes dans plusieurs dizaines de pays. Dans d’autres, où elle ne peut la mener, elle prend une série d’indicateurs : lorsque les données sont disponibles, elle s’appuie sur des statistiques nationales sur les patrimoines et leur répartition (l’Insee les calcule pour la France, par exemple).
A défaut, pour les pays les moins avancés, elle construit d’autres valeurs, plus approximatives, en fonction des statistiques disponibles (sur les revenus notamment), voire en appliquant une même forme de structure qu’un pays voisin. Or il suffit de consulter les tableaux fournis par la banque pour constater que, dans bien des cas, les données sont jugées peu fiables. Ce qui n’empêche pas de s’en servir pour avoir des ordres de grandeur, mais limite la précision du calcul.
Le Crédit Suisse cherche aussi des données spécifiques pour les très hauts revenus, notamment le classement du magazine américain Forbes. Ce dernier publie chaque année une liste des 400 plus gros patrimoines américains. Pour ce faire, le magazine interroge ces milliardaires afin de compter leur actif net : ce qu’ils possèdent, tant en patrimoine qu’en capitaux, moins leurs dettes.

2. Une méthodologie qui limite les comparaisons

Le Crédit Suisse et Oxfam (même si l’ONG évoque également les revenus dans quelques points de l’étude) se basent sur le patrimoine, et précisément sur la notion d’actif net : ce que je possède, moins mes dettes. Cette méthodologie a un défaut : un individu ou un ménage endetté peut avoir une valeur patrimoniale… négative.
Ainsi, un étudiant américain endetté pour payer ses études, sera considéré comme plus « pauvre » qu’un salarié malien qui gagne très peu mais n’a pas d’endettement. Comme le relevait l’an dernier l’économiste Alexandre Delaigue, avec ce mode de calcul « la personne la plus pauvre du monde n’est pas un Africain affamé : c’est Jérôme Kerviel ».
Oxfam précise que cette méthode est la seule possible pour aboutir à des données fiables, et assure que l’endettement ne constitue pas un biais suffisant pour altérer les constats de son étude.
Autre question, celle d’une comparaison mondiale, qui va encore accentuer ces problèmes méthodologiques : « richesse » et « pauvreté » sont des notions éminemment subjectives, qui dépendent beaucoup de la société dans laquelle on vit : on peut « se sentir » pauvre dans un pays développé, même en sachant qu’on dispose de bien plus de richesses qu’une autre personne dans un pays moins avancé, et inversement.
Ainsi, un patrimoine supérieur à 3 200 dollars (2 942 euros) vous classe dans la moitié de la population mondiale la plus riche. A plus de 68 845 dollars (63 296 euros), on est dans la « tranche » des 10 % les plus riches du monde. Pourtant, cette somme ne permettrait, en France, que de faire un petit achat immobilier. Et avec un patrimoine supérieur à 759 927 dollars (698 680 euros), certes important, mais qui ne suffit pas, en France, à être redevable de l’Impôt sur la fortune, on entre dans le cercle des 1 % les plus aisés du monde.

3. Des évolutions qui posent question

Autre souci méthodologique : quelle pertinence accorder à l’évolution des indicateurs utilisés ? On l’a vu, l’étude de la Banque Suisse qu’utilise Oxfam s’appuie sur des statistiques, qui ne sont pas mises à jour chaque année dans chaque pays, et donc sur une certaine disparité dans les données.
Pour les cas où elle ne dispose pas de données à jour, la banque « prolonge la courbe » formée par les années précédentes pour projeter une tendance actualisée. Oxfam estime que l’étude de Crédit Suisse est suffisemment
La question se pose particulièrement concernant l’évolution de ces indicateurs : s’il est aisé de mesurer l’évolution des quelques centaines d’individus les plus riches, la mesure de la moitié la plus pauvre de l’humanité est par essence une indication peu précise, qui dépend grandement des données collectées. Or celles-ci le sont très inégalement selon les pays, avec des enquêtes qui peuvent dater d’une ou plusieurs années, voire des calculs pour simuler une donnée lorsqu’elle est manquante. L’évolution notée dans le rapport peut donc être questionnée.
Boutiques de luxe rue Edouard-Herriot, à Lyon. JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

4. Le cas des 1 % et des milliardaires

Venons-en au fameux calcul des 1 % les plus riches : Oxfam en livre deux :
  • les 1 % les plus riches posséderaient autant que les 99 % restants,
  • le patrimoine des 62 milliardaires les plus riches serait équivalent à celui de la moitié la plus pauvre de l’humanité.
Il faut aller chercher une note en fin de document pour comprendre la méthodologie, qui repose sur celle du Crédit Suisse : ce dernier a commencé par reconstituer des niveaux de richesse (en fonction de divers indicateurs et en fonction de ce que les pays eux-mêmes fournissent).
La banque a ensuite agrégé ces valeurs pour obtenir une distribution globale des revenus patrimoniaux, qu’elle a divisés en « tranches » d’égale population. Les voici, ici avec une échelle logarithmique pour pouvoir lire les valeurs.
"Déciles" d'actifs au niveau mondial
Chaque "tranche" représente 10% de la population, sauf C5 et C1 (les 5% et 1% les plus riches). Lire (pour D2) : "Les 20% les plus pauvres ont un patrimoine inférieur à 132 dollars"). L"échelle est ici semi-logarithmique pour mieux visualiser les valeurs
10 100 1000 10000 100000 1000000 10000000 D1D2D3D4D5D6D7D8D9D10C5C1
Source : Crédit Suisse
Et ici avec une échelle linéaire, qui montre bien la progression exponentielle, et donc les écarts et la concentration des revenus.
"Déciles" d'actifs au niveau mondial
Chaque "tranche" représente 10% de la population, sauf C5 et C1 (les 5% et 1% les plus riches). Lire (pour D2) : "Les 20% les plus pauvres ont un patrimoine inférieur à 132 dollars"). L"échelle est ici semi-logarithmique pour mieux visualiser les valeurs
0 100000 200000 300000 400000 500000 600000 700000 800000 D1D2D3D4D5D6D7D8D9D10C5C1
Source : Crédit Suisse
Ces déciles et centiles permettent de mieux voir comment on s’y prend pour trouver des « parts de richesse » mondiale par catégorie. Le Crédit Suisse précise ces ratios : les 10 % les plus riches possèdent selon ces calculs 87,65 % des actifs mondiaux. Et les 1 % les plus riches 50,01 %, soit plus de la moitié. Rappelons qu’on parle ici de patrimoine net (dettes déduites), et non de revenus.
Restent les milliardaires. Ici, Oxfam a procédé différemment, en calculant combien d’actifs « possédait » au total la moitié de l’humanité la plus pauvre. Au global, conclut le Crédit Suisse, 0,7 % de la population mondiale possède plus d’un million de dollars d’actif net, soit 45,2 % de la richesse mondiale.
Il suffit donc ensuite de prendre la liste de Forbes des milliardaires les plus riches et d’additionner les valeurs jusqu’à avoir un nombre de milliardaires qui représente un patrimoine équivalent pour pouvoir donner une comparaison plus spectaculaire.

5. Une réalité globale qui reste exacte, mais se nuance

Ces limites n’obèrent pas les conclusions d’Oxfam, qui restent justes : on compte une concentration de richesses aux mains d’une part réduite de la population, ce qui pose nombre de questions, notamment celle de l’évasion fiscale. Mais ces conclusions peuvent être quelque peu nuancées :
  • le patrimoine est un élément pour mesurer les inégalités, il n’est pas le seul. Le revenu est un indicateur sans doute plus représentatif d’une réalité. Oxfam, qui milite par ailleurs contre l’évasion fiscale, fait un choix conscient en prenant cet indicateur plutôt qu’un autre,
  • on mesure ici des inégalités entre individus et non entre Etats. Or ces inégalités ont surtout un sens au sein d’un même pays. Nombre d’études montrent que les inégalités progressent dans nombre de pays, ce d’autant que ces pays connaissent une croissance forte (c’est le cas de l’Inde ou de la Chine, par exemple),
  • l’inégalité n’empêche pas la progression globale des niveaux de vie. Or ceux-ci tendent à s’améliorer, comme le montre l’évolution de l’Indicateur de développement humain (IDH), qui agrège des indicateurs comme l’accès à l’éducation, à la santé, etc. Si on mesure l’inégalité en la pondérant par le nombre d’habitants de chaque pays, elle tend à se réduire dans le monde, au sens où de plus en plus d’humains connaissent de meilleures conditions de vie.



mercredi 14 octobre 2015

Accident vasculaire cérébral - Une nouvelle technique qui sauve des vies

Accident vasculaire cérébral - Une nouvelle technique qui sauve des vies



Accident vasculaire cérébral
Une nouvelle technique qui sauve des vies

Une nouvelle ère s'ouvre dans la prise en charge de l'AVC grâce à une
technique de capture du caillot dans le cerveau: la thrombectomie
mécanique.
©
DR
Le 12 octobre 2015 | Mise à jour le 12 octobre 2015

Chaque
année en France, 150 000 personnes sont frappées par un accident
vasculaire cérébral (AVC). Jusqu’aux années 2000, lorsque le traitement
anticoagulant était impossible ou insuffisant, les victimes décédaient
ou restaient gravement handicapées. Désormais, la thrombectomie
mécanique, une technique manuelle qui capture le caillot directement
dans le cerveau, sauve des vies et évite coma et paralysie. Plusieurs
études internationales viennent de confirmer l’efficacité spectaculaire
de ce dispositif élaboré par des neuroradiologues français.

Le
Dr Paul-Emile Labeyrie, neuroradiologue aux Hospices civils de Lyon, à
l’hôpital Pierre-Wertheimer, sous l’égide du Pr Francis Turjman, nous
explique cette avancée majeure dans la prise en charge de l'AVC.


Paris Match. Qu’est-ce qu’un AVC ?
Dr Paul-Emile Labeyrie.
C’est un terme très vaste qui désigne plusieurs accidents au sein de la
même appellation. Pourtant, dans le langage commun, on en parle pour
désigner l’AVC ischémique, par asphyxie du cerveau (artère cérébrale
obstruée par un caillot sanguin). Il représente 80 % de tous les AVC,
les 20 % restants étant les accidents vasculaires hémorragiques (artère
cérébrale rompue). On peut se représenter les artères qui irriguent le
cerveau comme les branches d’un arbre : leur calibre diminue à mesure
qu’elles se ramifient. Emporté par le flux sanguin, le caillot qui s’est
formé progresse jusqu’à ce que son calibre soit supérieur à celui de
l’artère qui le porte, et il se coince. L’artère étant bouchée, une
partie du cerveau n’est plus irriguée et les cellules vont commencer à
mourir. Reprenons l’image de l’arbre et imaginons qu’on empêche la sève
de circuler dans une branche : toutes les feuilles qu’elle porte vont
mourir. Plus la branche obstruée est proche du tronc, plus l’arbre
perdra de feuilles ; si la branche est petite et loin du tronc, il n’en
perdra que quelques-unes. C’est pareil pour la fonction cérébrale : plus
l’artère obstruée est grosse, plus le cerveau souffre. Plus le nombre de cellules qui meurent est important, plus l’AVC est grave.

"Pour chaque minute d'occlusion, 2 millions de neurones disparaissent"

Est-ce que l’urgence des soins reste essentielle ?
Oui, c’est une véritable urgence ! Il faut savoir que, pour chaque minute d’occlusion, ce sont 2 millions de neurones
qui disparaissent. Plus on agit vite, mieux c’est. Dès que l’artère se
bouche, les neurones commencent à mourir, assez lentement dans un
premier temps. Si on est capable de lever rapidement l’obstacle, les
neurones ne mourront pas tous dans la partie du cerveau asphyxiée, qui
restera ainsi plus ou moins fonctionnelle.

Comment soigne-t-on aujourd’hui un AVC ischémique ?
Pendant
vingt ans, le seul traitement a été la thrombolyse intraveineuse. Un
médicament est injecté dans les veines du patient qui va dissoudre le
caillot, tentant ainsi de déboucher l’artère atteinte. Ce traitement
marche bien pour les petites artères, mais beaucoup moins bien pour les
grosses. Par ailleurs, il ne peut pas être administré à tous les
patients. Par exemple, un malade opéré quelques jours avant un AVC ou un
autre porteur d’un traumatisme crânien ou sous anticoagulant ne
pourront pas en bénéficier en raison du risque hémorragique. De plus, ce
médicament ne peut être administré que dans les quatre heures trente
suivant le début des symptômes. Or il est souvent difficile de dater
l’AVC. Beaucoup de gens se réveillent un matin paralysés d’un côté sans
que l’on sache quand les symptômes ont commencé. Idem pour une personne
âgée en institution : l’AVC peut survenir entre le passage de
l’infirmière le soir et celui du matin, et on ne peut dater précisément
le début du trouble. De fait, seuls 5 à 10 % des patients peuvent
recevoir ce traitement thrombolytique, en raison à la fois des délais
courts, des contre-indications et de sa faible efficacité sur les gros
caillots. En conclusion, pour les AVC les plus graves (gros caillots
avec risque important d’infarctus du cerveau), il existait peu de
solutions.

"Il y a rarement eu de telles preuves de l'efficacité d'un nouveau traitement!"

Jusqu’à
ce que des études récentes prouvent la supériorité de la thrombectomie
mécanique pour déboucher les grosses artères du cerveau sur la
thrombolyse intraveineuse.

On en a aujourd’hui la preuve
formelle : depuis décembre  2014, six études internationales (dont cinq
dans le prestigieux “New England Journal of Medicine”) ont montré le
bénéfice de la thrombectomie mécanique pour le pronostic de l’AVC, tant
sur le handicap neurologique que sur la mortalité. Il y a rarement eu,
dans l’histoire de la médecine, de telles preuves de l’efficacité d’un
nouveau traitement ! Et cela dès la première étude publiée, raison pour
laquelle les autres ont suivi très rapidement. Au point même qu’il
n’était plus éthique de continuer à randomiser les patients : ils
devaient tous bénéficier de ce traitement ! Pour les médecins qui
traitent les AVC, ces résultats sont fantastiques, des milliers de vies
pourront être sauvées chaque année grâce à cette avancée majeure.

En quoi consiste donc la thrombectomie mécanique ?
On retire le caillot (thrombus) de l’artère de façon mécanique, au moyen d’un système de petite épuisette (stent).

A l’hôpital Pierre-Wertheimer de Lyon, le Pr Francis Turjman (blouse
blanche), chef du service de neuroradiologie interventionnelle, entouré
de son équipe. De g. à dr., les docteurs Roberto Riva, Paul-Emile
Labeyrie et Benjamin Gory.
©
Thierry Esch
Comment se déroule une intervention?
Cette
intervention se pratique au bloc opératoire, où le patient est admis en
extrême urgence. Dès que son ischémie est authentifiée par scanner ou
IRM, les neurologues vasculaires nous contactent. Nous réalisons alors
une ponction de l’artère fémorale du patient, sous anesthésie locale,
dans laquelle on introduit un cathéter qui remonte l’aorte à
contre-courant jusqu’au cerveau. Le cathéter permet ainsi d’amener le
stent retriever jusque dans les artères du cerveau : le stent se déploie
au contact du caillot et s’y accroche en quelques dizaines de secondes.
Le caillot, emprisonné dans le stent, redescend par le cathéter jusqu’à
l’artère fémorale, où il est extrait. Si le patient n’est pas agité,
l’intervention peut se dérouler sous anesthésie locale. On manœuvre à
mains nues, à l’extérieur du corps, depuis la table opératoire. Aucun
robot, pas d’outil particulier. Les mains du médecin manipulent avec une
grande précision le canal opérateur (à l’intérieur du cathéter), depuis
l’artère fémorale jusqu’au cerveau, pour faire progresser le
dispositif. Afin de se repérer à l’intérieur des artères cérébrales, le
patient est placé sous une caméra à rayons X qui permet une vidéo en
transparence. 

"Cette technique réduit significativement la mortalité des patients"

Quels sont les avantages de cette technique ?
D’abord,
elle réduit significativement la mortalité des patients. Ensuite, elle
diminue de 25 % le risque de séquelles par rapport à la thrombolyse
intraveineuse. Cela signifie que, sur quatre patients traités, on en
sauve un du handicap. Le bénéfice économique et social n’est pas non
plus à négliger. Car quand l’AVC ne tue pas, il est la première cause de
handicaps chez l’adulte. Une personne dont la moitié du corps est
paralysée ne peut plus conduire ni monter des escaliers : elle a besoin
d’une aide quotidienne, parfois médicalisée. Un coût social, humain...

Cette technique permet-elle un délai d’intervention plus long ?
Oui,
six heures actuellement, mais probablement plus. Le traitement ne
provoque pas d’hémorragie, on n’a donc pas besoin de l’administrer dans
les quatre heures trente. Cela ne veut pas dire que l’on ne doit pas
aller vite, mais c’est une heure trente de gagnée sur la maladie. Il y a
même certains patients pour lesquels on est intervenu après dix heures,
mais ce sont des cas particuliers ; la discussion avec les neurologues
est primordiale. Théoriquement, malgré les délais, si le cerveau est
encore viable sur l’imagerie, on peut toujours intervenir. C’est une
véritable révolution dans la prise en charge de la phase aiguë de l’AVC.

Vous
expliquez que le traitement de référence, la thrombolyse intraveineuse,
n’est destiné qu’à 8 % des patients. Et les autres ?

Ils ne
pouvaient bénéficier d’aucun traitement visant à déboucher leurs
artères. Ils étaient pris en charge dans une unité de soins spécifiques
avec rééducation. Il existe également une réelle difficulté d’accès aux
soins et une méconnaissance des symptômes par le grand public. La notion
de réseau et de pluridisciplinarité est essentielle. Dans notre région,
grâce au réseau Resuval, nous avons un des meilleurs taux de prise en
charge par thrombolyse intraveineuse : 10 %. La thrombectomie mécanique
est aujourd’hui un outil formidable qui permet d’envisager de soigner
plus de malades et plus efficacement.

"On ramène les artères à leur état initial dans 75% des cas"

Quelles sont les limites de ce traitement mécanique ?
Les
interventions sont délicates car les artères du cerveau sont fragiles,
mais elles ne sont pas plus risquées que la thrombolyse intraveineuse.
Une des limites réside dans le siège de l’occlusion : les caillots les
plus petits, plus loin dans le cerveau, sont pour l’instant
inaccessibles. On ramène les artères à leur état initial dans 75 % des
cas. Mais parfois, le cerveau est trop endommagé ; la principale limite
de cette technique est donc le délai d’intervention. S’il est trop tard,
on ne peut plus rien faire. Les patients doivent donc reconnaître les
symptômes d’un AVC tout en sachant qu’il faut aller très vite. Les
pouvoirs publics doivent organiser les réseaux de soins et renforcer les
effectifs des centres de neuroradiologie interventionnelle, partout sur
le territoire, pour assurer les urgences 7 jours sur 7 et 24 heures sur
24.

Combien y a-t-il de neuroradiologues en France ?
Un
peu plus d’une centaine sont confirmés pour une trentaine de centres
compétents et habilités à traiter par thrombectomie. C’est limité aux
CHU, sauf rares exceptions. A Lyon, par exemple, nous sommes une équipe
de quatre praticiens et l’un de nous est disponible 24 heures sur 24
pour intervenir.

"A l'avenir, on pourra aller chercher des caillots plus petits et plus éloignés dans le cerveau"

Comment savoir où l’on peut avoir accès à cette technique ?
En
France, dans les villes de taille moyenne, une unité neurovasculaire
(UNV) prend en charge les AVC. Elle fonctionne en réseau étroit avec le
Samu et les pompiers. Les médecins neurologues vasculaires, spécialistes
des AVC, savent où est pratiquée la thrombectomie et nous adressent les
patients éligibles au traitement. Mais le territoire n’est pas couvert
de façon homogène et les temps de transport sont parfois longs. Aussi,
le rôle des urgentistes et du Samu est crucial. Ainsi à Lyon nous
accueillons des patients de Vienne, Valence, Bourg-en-Bresse venant de
centres hospitaliers parfois distants d’une centaine de kilomètres. Mais
on s’organise, le progrès est en marche !

Que laisse augurer cette nouvelle prise en charge des AVC ischémiques ?
A
l’avenir, la technique se perfectionnera et on pourra aller chercher
des caillots plus petits et plus éloignés dans le cerveau. On pourra
également allonger le délai de prise en charge.

Le stent retriever, un outil révolutionnaire
Le stent retriever.
DR

Cette
découverte est née de la neuroradiologie interventionnelle, dont les
outils d’imagerie permettent d’intervenir de façon très précise dans le
corps humain. Beaucoup de pionniers dans cette spécialité sont français
et internationalement respectés. Depuis les années 2000, on réalise de
plus en plus d’interventions sur des pathologies neurovasculaires,
anévrismes intracrâniens ou malformations artério-veineuses. Avec
l’expérience, les médecins ont développé des outils, des techniques et
accumulé une connaissance considérable des artères intracrâniennes. Au
début, dans certains cas désespérés, des opérations de sauvetage étaient
tentées pour déboucher des artères cérébrales avec plus ou moins de
succès, mais il manquait un outil simple d’utilisation et efficace. Le
stent retriever a révolutionné la technique. Comme beaucoup de grandes
découvertes, elle a été faite par hasard. Utilisé à la base pour les
anévrismes intracrâniens, le stent s’est révélé très efficace pour
attraper les caillots. Une fois l’utilisation effective, la pratique a
explosé.

Guérie, elle dit « oui » !

Une
femme de 32 ans fait un AVC. Son compagnon, témoin de la scène, est
traumatisé par ce qu’il vient de voir. Coup du sort, il avait préparé la
bague et un discours pour la demander en mariage le lendemain. Dans le
stress de la situation, il lui fait sa demande alors qu’elle est sur le
brancard du Samu. Opérée quelques semaines auparavant, la jeune femme ne
peut pas bénéficier de la thrombolyse intraveineuse. Atteinte d’une
hémiplégie brutale, elle présente une paralysie faciale, ne peut plus
bouger le côté droit du corps, ne peut plus parler. Rapidement, les
neuroradiologues interventionnels libèrent l’artère bouchée grâce à la
thrombectomie mécanique. Alors que l’équipe finit la procédure, la
patiente est capable de bouger à nouveau sa jambe et son bras droits et
répond quand on lui parle. Une récupération « sur table » ! Elle se met à
pleurer, car elle se souvient de la demande en mariage à laquelle elle
n’a pu répondre. Elle demandera au Dr Labeyrie de transmettre au plus
vite son accord à son futur époux !

Paralysée, elle récupère  du jour au lendemain

Une
femme de 50 ans, sans antécédents particuliers, est victime d’un AVC
chez elle. Elle sent ses jambes se dérober et tombe brutalement dans le
coma. Aux urgences, le scanner révèle un long caillot à l’intérieur du
tronc basilaire, une artère très importante du cerveau située devant une
zone qui commande tous les automatismes du corps, et qui est reliée à
la partie la plus haute de la mœlle épinière. En état de locked-in
syndrome, son corps est entièrement paralysé, hormis les muscles des
paupières. Elle ne peut ni parler ni bouger, juste entendre. Pour elle,
la thrombolyse intraveineuse est un échec. Les urgences l’adressent aux
neuroradiologues de Lyon avec une prise en charge rapide, sous
anesthésie générale. Le Pr Turjman débouche l’artère en un seul passage,
libérant la vascularisation de son cerveau. Le lendemain, elle est
capable de parler, de bouger les bras et les jambes et peut quitter le
service de réanimation. Sans la thrombectomie mécanique, son cas était
désespéré.

arismatch.com/Actu/Sante/Une-nouvelle-technique-qui-sauve-des-vies-prise-en-charge-des-AVC-par-thrombectomie-mecanique-844607

mardi 6 octobre 2015

L'OBESITE; LA QUESTION

Nutrition

Cette pédiatre genevoise en croisade contre l'obésité

Bientôt présidente de l'Association européenne pour l’étude de l’obésité, cette pédiatre genevoise prône une approche globale contre ce fléau
«Regardez ce parc», enjoint Nathalie Farpour-Lambert en montrant l’espace vert de l’autre coté de la rue. «Ne pourrait-on pas en construire plus?». C’est vrai qu’il est agréable ce petit parc ensoleillé, avec ces enfants qui courent joyeusement, avec semble-t-il encore de l’énergie à revendre.
Attablée sur une terrasse ombragée, dégustant un expresso – sans sucre - la pédiatre des Hôpitaux universitaires genevois (HUG) en vient rapidement aux faits : notre environnement constitue un terreau fertile pour l’obésité. Les occasions de dépenser de l’énergie sont de plus en plus rares, et les tentations grasses et sucrées nous harcèlent constamment.
Tel est le constat de cette femme au tempérament avenant, qu’on sent immédiatement happée par son sujet. Elle cite un rapport? Elle cherche la source dans son smartphone. Elle veut expliquer quelque chose? Elle dessine un graphique. Enfin pas là, vu qu’elle n’a pas de papier à sa disposition. Qu’à cela ne tienne, elle mime l’allure des courbes avec ses doigts.

En Suisse, un enfant sur cinq en surpoids

A 47 ans, Nathalie Farpour-Lambert vient d’être nommée présidente désignée de l’Association européenne pour l’étude l’obésité (EASO). Une tâche de plus dans son escarcelle, qui en contient déjà beaucoup. La pédiatre est par ailleurs présidente fondatrice de Contrepoids, programme des HUG qui repose sur une approche transversale pour combattre l’obésité, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie désormais d’épidémie. 800 millions de personnes sont en surpoids dans le monde, avec les enfants en première ligne. Plus gros, plus tôt, ils représentent déjà un enfant sur cinq en Suisse. Dans ce contexte, «la nomination d’une pédiatre à la tête de l’EASO est un signal fort», commente le professeur Alain Golay, diabétologue qui est par ailleurs son chef de service aux HUG.
Ne vous attendez pas à discuter oméga 3 ou cinq fruits et légumes par jour avec elle. Non pas que ça ne l’intéresse pas, mais Nathalie-Farpour Lambert préfère prendre du recul et avoir une vision globale, comme elle aime le répéter. Elle a d’ailleurs entamé un Master de politique de santé globale à l’Ecole de médecine et d’hygiène tropicales de Londres qui complétera son diplôme de médecin de l’Université de Genève. «Après 20 ans de pédiatrie, j’ai fait le constat que la médecine seule ne peut pas soigner tous les obèses. Les traitements ont des résultats très positifs, mais limités». Changement de technique. Désormais dans son collimateur: l’environnement. Comprenez : les industries agro-alimentaires, qui veulent nous faire avaler n’importe quoi. «On a tendance à rejeter la responsabilité sur les individus qui ne savent pas s’alimenter correctement, mais c’est oublier l’environnement. Nous vivons dans un monde de surabondance de l’offre alimentaire.» Cette surabondance, c’est autant de tentations, voire d’injonctions à toujours manger plus, ce qui fait exploser nos calories quotidiennement ingérées, comme l’a révélé une étude américano-néo-zélandaise cet été dans le Bulletin de l’OMS.
Nous vivons dans un monde de surabondance de l’offre alimentaire
Non seulement nous mangeons trop, mais aussi trop gras ou surtout trop sucré. 80% des aliments du commerce contiennent des sucres ajoutés, «il y en a même dans la sauce tomate!», s’emporte-t-elle. Et les groupes industriels en ajoutent toujours plus. Un exemple suisse: il y a quelques années, 85% du sucre que nous consommions provenait des betteraves (autrement dit du sucre de table que l’on ajoute soi même en contrôlant les quantités). Aujourd’hui, 85% du sucre que nous ingérons provient de la nourriture industrielle. Avec autant de sucres, c’est la facture calorique qui est salée.
Que peut faire un simple médecin face à cette situation?  La tâche est insurmontable. Mais pour cette ancienne sportive de haut niveau, qui pratiquait le ski nautique et le plongeon acrobatique, se fixer des objectifs et se surpasser pour les atteindre fait partie de son ADN.  «Sa motivation est sans limites, confirme Alain Golay. C’est une forte personnalité, elle possède un enthousiasme et un esprit créatif qui lui permettent de concrétiser ses projets. Sa carrière est exemplaire».

La force du marketing

Issue d’une dynastie de médecins, elle a suivi les pas de ses aînés et a enfilé la blouse blanche en 1994. Frappée par le nombre croissant d’enfants obèses qu’elle voit défiler (certains prennent plus de 8 kilos par an), elle décide d’agir. Au niveau national, d’abord.  C’est notamment grâce elle que la Suisse fut le premier pays au monde à reconnaître l’obésité infantile comme maladie chronique, et à rembourser les traitements de groupe. Au niveau global, ensuite, notamment grâce à ce poste à l’EASO, «où elle devrait avoir un impact certain», prédit Alain Golay. Enfin, Nathalie Farpour-Lambert est également partenaire-conseil pour la Commission européenne.
«Il y a tellement d’enjeux économiques que nous sommes parfois dans des situations où la puissance économique des multinationales dépasse celle des états», explique la pédiatre. Au Mexique, premier consommateur de Coca-Cola, l’offensive marketing du géant n’a plus de limites, les prix étant, dans certains états, moins élevés que ceux de l’eau, souvent grâce à des avantages fiscaux. «Beaucoup de choses se jouent en dessous de la table», affirme-t-elle. C’est David contre Goliath.
Il faut donc se poser la question, jusqu’où sommes-nous prêts à prétériter la santé au bénéfice des industriels?
Pourtant, de combat, Nathalie Farpour-Lambert ne veut pas en entendre parler. «Ce qui m’intéresse, c’est informer, dénoncer, et fédérer une demande de la population, car c’est dans son intérêt.» Et la médecin de parler des bienfaits de la «social pressure», pression sociale qui a déjà permis une diminution spectaculaire des prix des traitements anti VIH en Afrique du Sud. «Il faut réussir à faire asseoir tout le monde, y compris les industriels, autour de la table des discussions et débattre de tout cela sans que ces derniers ne soient juges et partie», assène-t-elle.
«Si nous voulons vaincre l’obésité, nous devons parvenir à un équilibre entre la santé et l’économie. Il faut donc se poser la question, jusqu’où sommes-nous prêts à prétériter la santé au bénéfice des industriels?» En tout cas, son rôle de poil à gratter auprès des Nestlé et consorts n’a pas l’air de l’inquiéter. «Je sais que ce que je dis peut déranger. Mais tant pis, si ça peut faire avancer les choses...»

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lundi 5 octobre 2015

PRIX NOBEL DE MEDECINE 2015


William Campbell, Satoshi Ōmura et Youyou Tu remportent le prix Nobel de Médecine

AFP Publié le - Mis à jour le
Sciences - Santé

La médecine a ouvert ce lundi la saison des prix Nobel, qui honore chaque automne chercheurs, écrivains et artisans de la paix, et cette année peut-être ceux qui ont aidé les réfugiés à trouver une vie meilleure.
Le prix Nobel de médecine a été attribué conjointement lundi à William Campbell, né en Irlande, au Japonais Satoshi Omura et à la Chinoise Youyou Tu, découvreurs de traitements contre les infections parasitaires et le paludisme.
William Campbell et Satoshi Omura sont récompensés ensemble pour "leurs travaux sur un nouveau traitement contre les infections causées par des vers" tandis que Youyou Tu est primée pour "ses découvertes concernant une nouvelle thérapie contre le paludisme", a indiqué le jury Nobel.
"William C. Campbell et Satoshi Omura ont découvert un nouveau médicament, l'Avermectin, dont les dérivés ont radicalement diminué la prévalence de la cécité des rivières et la filariose lymphatique, tout en montrant de l'efficacité contre un nombre de plus en plus grand d'autres maladies parasitaires", a expliqué le jury.
Tu Youyou, 84 ans, qui était depuis longtemps pressentie pour recevoir le prix, a découvert un traitement particulièrement efficace contre le paludisme grâce à un extrait de la plante armoise annuelle (Artemisia annua).
Elle est la 12è femme à être récompensée par le Nobel de médecine depuis la création du prix en 1901.
Les trois lauréats succèdent à l'Américano-Britannique John O'Keefe et à un couple de Norvégiens, May-Britt et Edvard Moser, primés en 2014 pour leurs travaux sur le "GPS interne" du cerveau éclairant la survenance de la maladie d'Alzheimer.
Le prix de médecine est le premier de la saison des Nobel 2015. Il sera suivi de ceux de physique mardi, de chimie mercredi, de littérature jeudi et de la paix vendredi à Oslo. La saison s'achève le 12 octobre avec le prix d'économie.

Chaque prix Nobel est doté de huit millions de couronnes suédoises (près de 855.000 euros), à partager entre lauréats s'il y en a plusieurs.




Un Nobel pour les médecines tropicales

Le jury suédois a distingué des travaux qui ont contribué à lutter contre des maladies parasitaires, parmi lesquelles le paludisme
«Ces prix Nobel, c'est la récompense des deux grands succès de ces quarante dernières années en médecine tropicale.» Bernard Pécoul, directeur de la fondation DNDi (acronyme anglais pour Initiative pour les médicaments contre les maladies négligées), est satisfait du cru 2015 des prix Nobel de médecine et physiologie. Et il n'est pas le seul : Médecins sans frontières salue un «choix génial», le monde scientifique approuve dans son immense majorité.
Car le comité Nobel met cette année à l'honneur les travaux pionniers ayant abouti à la mise à disposition de traitements efficaces et bon marché contre des maladies parasitaires. La distinction est, comme c'est régulièrement le cas, partagée en deux volets. La première moitié est attribuée à l'Irlandais William Campbell de l'Université Drew dans le New Jersey, ainsi qu'au Japonais Satoshi Omura, de l'Université Kitasato à Tokyo. Leurs recherches ont permis de découvrir et de développer des médicaments à base d'avermectine, très utiles pour lutter contre les maladies liées aux vers parasitaires. Quant à la seconde moitié, c'est la Chinoise Tu Youyou, de l'Académie des sciences médicales chinoises, qui en bénéficie. Le jury prime sa découverte d'une molécule, l'artémisinine, utilisée pour combattre le paludisme.

Remède ancestral

Est-il encore nécessaire de présenter cette maladie (encore appelée malaria), qui frappe 300 millions de personnes chaque année et en tue 650000 dans le même temps ? Transmise par les piqûres de moustiques, elle est provoquée par un parasite, le plasmodium, qui s'attaque aux globules rouges et provoque de terribles fièvres, voire des lésions cérébrales parfois fatales.
Historiquement, des remèdes à base de quinine étaient administrés aux malades. «Mais on a assisté à une émergence de la résistance du parasite en Asie du sud-est dans les années 1980, résistance qui a gagné les autres continents dix ans plus tard», raconte Bernard Pécoul. Face à l'accroissement de la mortalité qui s'en est suivi, les autorités sanitaires ont recommandé les traitements à base d'artémisinine, la molécule découverte par Tu Youyou à la fin des années 1970. Depuis 2000 ans, médecins et apothicaires chinois soignent les fièvres et le paludisme grâce à des décoctions de feuilles d'un petit arbuste, l'armoise annuelle ou Artemisia annua. «Le traitement n'a donc rien de très nouveau, explique Blaise Genton, chef du Centre de vaccination et médecine des voyages à la Policlinique médicale universitaire (PMU) à Lausanne. Mais Tu Youyou l'a formalisé et optimisé». Se plongeant dans les traités de médecine chinoise ancestrale, la biochimiste a fidèlement reproduit les préparations pharmaceutiques afin d'obtenir des centaines d'extraits végétaux. Un beau jour, bingo ! L'un de ces extraits améliore considérablement l'état de santé de souris malades. Ne lui reste alors plus qu'à isoler le principe actif:l'artémisinine était née. Son importance se résume simplement: la totalité des traitements anti-paludisme actuels sont des dérivés de cette molécule. Grâce à elle, le paludisme recule à nouveau, même si des résistances commencent à émerger en Asie.

Vers parasitaires

La deuxième moitié du prix renvoie à un autre succès de la médecine tropicale: le combat contre les maladies provoquées par des vers parasitaires, parmi lesquelles l'onchocercose (ou cécité des rivières) et la filariose lymphatique, qui provoque des oedèmes géants au niveau des jambes et des testicules. C'est le microbiologiste Satoshi Omura qui a le premier découvert chez un genre de bactéries, les Streptomyces, certaines propriétés anti-parasitaires dont il espérait qu'on découvrirait plus tard quelque application thérapeutique. William Campbell a exaucé ce vœu. Etudiant des bactéries sélectionnées par Satoshi Omura, le biologiste irlandais remarque dans les années 1980 que l'une des espèces, Streptomyces avermitilis, est particulièrement efficace pour repousser les infections parasitaires chez l'animal. Il décide alors d'isoler le principe actif à l'oeuvre chez ces micro organismes et le nomme avermectine, substance qui sera par la suite améliorée par les laboratoires Merck et nommée ivermectine. Ayant réalisé d'énormes profits pour les traitements des animaux, le laboratoire américain a annoncé en 1987 qu'il fournirait gratuitement l’ivermectine pour le traitement humain aussi longtemps que cela serait nécessaire. «La lutte contre ces maladies négligées a complètement changé grâce à ces travaux, souligne le directeur de l'Institut tropical et de santé publique suisse Jürg Utzinger. Grâce à ces médicaments mis à disposition gratuitement, nous avons pu faire reculer de manière spectaculaire ces maladies extrêmement handicapantes et stigmatisantes».
Pour Blaise Genton, ce Nobel pour Tu Youyou est «une excellente chose pour les médecines non occidentales, que nous avons tendance à considérer avec suspicion». Quant à Bernard Pécoul, il y voit un Nobel récompensant les «médecines basées sur des produits naturels qui ont fait leur preuves». Mais le médecin rappelle que «ces deux succès sont aussi deux exceptions. La plupart des maladies tropicales n'intéressent ni les laboratoires, ni les investissements publics. Espérons que ce prix Nobel fasse évoluer les choses.»
http://www.letemps.ch/sciences/2015/10/05/un-nobel-medecines-tropicales