TOXICOLOGIE
Les morsures de serpents, une crise négligée
Les victimes directes et indirectes des morsures de serpents se
comptent chaque année en centaines de milliers. Un problème sous-estimé auquel
un projet scientifique genevois va tenter de répondre
Cent vingt
mille décès, 400 000 victimes de handicaps et traumatismes psychologiques:
c’est le lourd bilan annuel des morsures de serpents,
une crise humanitaire silencieuse. En juin 2017, l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) a reconnu les morsures de serpents comme un problème de santé
majeur et les a incluses dans la liste des maladies tropicales négligées.
L’association Médecins sans frontières estime même que l’impact des morsures de
serpents est clairement sous-estimé et déplore le manque d’informations fiables sur
le sujet.
Dans ce cadre, le projet Snake-Byte propose une
étude et une collecte de données sans précédent. Interdisciplinaire, il réunit
des experts de l’Université de Genève (Unige), de l’OMS et de divers
partenaires internationaux. Le projet a obtenu un financement du Fonds national
suisse pour quatre ans et a débuté le 1er mars.
Les populations les plus affectées par les
morsures de serpents se trouvent principalement en Afrique, en Amérique latine
et en Asie, en majorité des populations pauvres et rurales. Selon François
Chappuis, spécialiste des maladies tropicales aux Hôpitaux universitaires de
Genève et codirigeant du projet, «les morsures peuvent survenir pendant le
travail aux champs ou la récolte de bois, mais aussi dans les habitations. Au
Népal, par exemple, certaines espèces rentrent à l’intérieur des maisons, de
nuit, à la recherche de souris par exemple, et peuvent mordre les habitants qui
dorment à même le sol.» Souvent, les morsures ne sont pas déclarées. Il n’y a
donc, pour l’instant, aucun moyen de quantifier l’ampleur du phénomène.
Un accès aux soins difficile
L’accès aux traitements peut également
être problématique. «En cas de morsure, il faut réagir vite, avoir accès à des
anti-venins et une assistance respiratoire dans les heures qui suivent, indique
le médecin. Mais si le centre de soins n’est pas accessible dans la région,
l’issue est souvent fatale. Au Népal, 80% des décès dus à une morsure de
serpent se produisent avant l’arrivée à une structure médicale.» Encore faut-il
que le centre dispose du matériel adapté et que le blessé ait les moyens de
payer pour ces soins. De plus, il y a la question de l’identification de
l’espèce de serpent. Comment savoir quel anti-venin administrer si les
connaissances en herpétologie manquent?
Les blessés qui survivent ne s’en sortent
pas indemnes pour autant. «Des séquelles psychologiques ainsi que physiques,
infections ou amputations, ont un impact à long terme», mentionne François
Chappuis. Dans certains cas, ces incapacités physiques ou la peur empêchent les
victimes de retourner travailler. «Ce qui pourrait impliquer une perte
économique, relève Rafael Ruiz de Castañeda de l’Institut de santé
globale à l’Université de Genève. Ce serait autant le cas lorsque les animaux
de rente se font mordre. Dans les communautés très dépendantes de leur bétail,
la perte d’un animal ou de sa capacité de production ou de travail pourrait
ainsi avoir de lourdes conséquences.»
La conséquence des morsures de serpents
sur la santé humaine pourrait donc aussi se faire indirectement, à travers un
impact sur le bétail et les moyens de subsistance. Dans le projet Snake-Byte,
les chercheurs iront au-delà de la dimension clinique et humaine et
développeront une vision plus large, dite One Health – une seule santé. «La
santé humaine, la santé animale et la santé environnementale sont
interdépendantes, explique le spécialiste. Avec ma collègue Isabelle Bolon,
nous allons apporter une approche systémique et socio-écologique. Très
développée dans d’autres domaines comme les maladies infectieuses
transmissibles de l’animal à l’homme, elle reste inédite dans le cas des
morsures de serpents.»
Des recommandations aux Ministères de la santé
De son côté, Nicolas Ray, de l’Institut
des sciences de l’environnement de l’Unige et codirigeant du projet, va
réaliser des cartographies
des populations à risque, en se basant sur les répartitions des serpents et des
données démographiques. «Nous allons également modéliser l’accessibilité
géographique aux soins ainsi que l’impact des futurs changements
environnementaux et démographiques sur le phénomène des morsures de serpents», ajoute-t-il.
Le projet va se focaliser sur le Cameroun
et le Népal, deux pays représentatifs avec qui l’Unige a des partenariats de
longue durée dans les hôpitaux locaux. «Avec tous les témoignages récoltés sur
le terrain directement au niveau du foyer, nous aurons une bonne idée de
l’ampleur du phénomène, annonce Nicolas Ray. A terme, nous pourrons surtout
donner des recommandations aux Ministères de la santé de ces deux pays. Comment
optimiser l’emplacement des anti-venins, par exemple. Nous espérons ainsi
participer à la diminution de la mortalité due aux morsures de serpents.»
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