Les patients voient dans leur docteur, leur sauveur, celui qui mettra tout en œuvre pour essayer de les guérir, pour chercher toutes les pistes thérapeutiques possibles, pour les rassurer.
Alors lorsqu'on annonce d'emblée : "Votre maladie est incurable et inopérable. Nous ne pouvons rien faire pour vous. Et vous non plus, vous ne pouvez rien y faire, malheureusement", le patient reste pantois, perdu entre l'incrédulité, la révolte et le désespoir.
Une expérience impensable
Telle fut ma malheureuse expérience lorsqu’on m'a découvert par hasard un cancer avancé et de nombreuses métastases dans différents organes, début 2017. Encore jeune, je me sentais pourtant et me sens toujours aujourd’hui en pleine forme.
Lors de ma première rencontre avec l'oncologue, celui-ci m'affirma très froidement "Vous ne guérirez jamais, absolument jamais. Il n'existe aucune thérapie efficace pour vous car votre maladie est trop rare aux yeux des sociétés pharmaceutiques. Vous en avez pour 12 mois maximum à vivre. Et si, par chance, si vous dépassez cette durée, je publierai un article médical sur votre cas, mais je doute que ça arrive".
Baf ! Long silence. Le regard hagard, mon corps se pétrifia. Le choc fut indescriptible.
Et depuis lors, je n'ai entendu que des affirmations du même genre.
Ces mauvaises expériences sont d’ailleurs corroborées par les témoignages d'autres malades à qui leurs diagnostics ont été annoncés de façon similaire.
Le pronostic comme une condamnation à mort
Il est où le serment d’Hippocrate, ce devoir de mettre tout en œuvre pour essayer de guérir ? Le médecin est-il un juge qui se donne le droit de condamner à mort, sans aucun espoir de libération conditionnelle ou de grâce ? (Je suis juriste, d'où mes références au droit pénal).
Sans aucune possibilité de sortir un jour de prison, les prisonniers deviennent fous, agissent comme des bêtes sauvages dans leurs cages. La seule issue qui leur reste est de se laisser mourir, ou d'accélérer cette mort par le suicide. Leur vie n'a plus aucun sens.
Il n'y a jamais de "faux" espoirs
A ma question "Comment pouvez-vous être aussi sûrs de votre pronostic ?", les oncologues me répondent "On ne veut pas vous donner de faux espoirs".
Mais il n'y a pas de "faux" espoir. Un espoir est par définition une hypothèse sans certitude concernant l'issue. Il y a donc des chances que l’événement espéré se produise ou bien qu'il ne se produise pas. Un espoir ne peut donc être faux. Il n'existe aucune certitude en médecine. Il serait bien prétentieux de l'affirmer en tout cas.
L'impact des mots sur le mental des patients
Imaginez l'effet suggestif "nocébo" que les paroles sombres et destructrices de certains médecins peuvent avoir sur les patients. Le terme nocébo, par opposition au placébo, est ce qui crée chez un individu, des effets psychosomatiques néfastes, la conviction qu'il va tomber malade ou mourir, ce qui finira par se produire en réalité.
Imaginez les émotions, les pensées négatives, le stress, la dépression profonde qu'un pronostic sans issue engendre. On est face à une mort programmée, au sort jeté par un vaudou. Dans ce cas, pourquoi allonger le calvaire psychologie que cela engendre. Autant se suicider directement.
Le patient a besoin de contribuer activement à sa guérison
A ma question "Comment puis-je augmenter mes chances de survivre ou, mieux, de guérir ?", je me suis entendue dire "Rien, Madame. Vous ne pouvez rien y faire. Profitez de la vie tant que vous pouvez". La réponse est sage, certes. Mais cela crée une frustration énorme car elle anéantit encore davantage le moral. Le patient a un besoin vital de contribuer activement à sa guérison.
Alors comment un médecin devrait-il annoncer un diagnostic sombre ?
Chaque patient est différent, bien entendu. Certains sont émotifs ou fragiles, d'autres cartésiens, d'autres défaitistes, d'autres insouciants ou dans le déni. Mais cela n'empêche nullement une communication correcte et sans ambiguïtés de la vérité, tout en restant rassurant.
Pour exemple, avec un ton plein de bienveillance : "Même s’ils ne représentent pas la majorité des cas, des patients comme vous s'en sont sortis. La médecine n'est pas absolue.Des rémissions se produisent sans qu'on puisse déterminer les raisons. La science évolue chaque jour. Nous allons tout faire pour que vous soyez du bon côté des statistiques (en expliquant les différents traitements possibles).Mettez-vous dans la tête que vous allez survivre. Croyez en votre chance. Ensemble, nous allons essayer d'y arriver. On fera aussi tout pour qu’au quotidien, vous le viviez le mieux possible. J'utiliserai toutes mes compétences et connaissances comme si je le faisais pour moi-même. Je chercherai pour vous de nouvelles thérapies ou solutions dès qu’elles seront accessibles. Et vous aussi, vous pouvez contribuer à augmenter vos chances et diminuer les effets secondaires. Adaptez votre alimentation (avec plus de conseils précis), méditez chaque jour, reconnectez-vous à la nature, bougez dans la mesure du possible, entourez-vous de proches qui croient en votre guérison et qui sont positifs. C’est un travail quotidien. Mettons toutes les chances de votre côté. Vous pouvez y arriver. Il faut y croire".
Revenons à la sagesse d'Hippocrate tout simplement.
Le CHUV devrait lancer un essai clinique l’été prochain permettant à des enfants atteints de cancer, notamment de leucémie aiguë, de pouvoir bénéficier de ce traitement novateur
Chaque année, en Suisse, on recense entre 200 et 220 nouveaux cas de cancer touchant des enfants de moins de 15 ans. Leucémies, tumeurs cérébrales, cancer des ganglions lymphatiques… grâce aux progrès de la médecine, ces différentes affections se soignent de mieux en mieux. Aujourd’hui, plus de 80% des malades peuvent être traités avec succès, contre 60% dans les années 1970 et 1980. Ce progrès, certes majeur, ne doit toutefois pas faire oublier les 20% de patients en rechute ou présentant des formes résistantes de la maladie.
Pour ces derniers, de nombreux espoirs reposent désormais sur l’immunothérapie à base de lymphocytes T modifiés, appelés chimeric antigen receptor T-cells (CAR T-cells). Initialement utilisée dans le traitement du mélanome, cette technique – qui vise à transformer les cellules immunitaires du patient en médicament personnalisé – a montré des résultats très prometteurs lors d’essais cliniques de phase précoce menés aux Etats-Unis, entre 2014 et 2016, sur une quarantaine de jeunes patients atteints de leucémie lymphoblastique aiguë en rechute ou réfractaire. Dans le cadre de cette étude, l’équipe de Michael Jensen, à l’Hôpital pédiatrique de Seattle, est en effet parvenue à un taux de rémission de 90% avec des résultats durables.
Les enfants sont trop souvent négligés dans la recherche, c’est pour cela que nous avons souhaité pouvoir leur faire bénéficier de notre expertise en immunothérapie adulte
George Coukos, Chef du Département d’oncologie UNIL-CHUV
Bonne nouvelle: les jeunes patients suisses pourront également bénéficier de cette technique dans un avenir proche, puisqu’elle sera introduite au CHUV, à Lausanne, au sein d’un essai clinique qui devrait débuter au cours de l’été 2019. L’annonce en a été faite le 30 août dernier lors d’une soirée de l’association Zoé4life, qui fête cette année ses 5 ans d’existence et soutient financièrement le projet.
«Les enfants sont trop souvent négligés dans la recherche, c’est pour cela que nous avons souhaité pouvoir leur faire bénéficier de notre expertise en immunothérapie adulte, explique le Professeur George Coukos, chef du Département d’oncologie UNIL-CHUV. Cette technique a déjà eu beaucoup de succès aux Etats-Unis et nous avons considéré qu’il était important de pouvoir aussi développer ces thérapies de nouvelle génération au sein de notre centre académique.»
Cellules mémoire
Concrètement, le concept des CAR T-cells repose sur le fait de modifier génétiquement, en laboratoire, certaines cellules immunitaires du patient, appelées lymphocytes T, afin de les munir d’un récepteur – le CAR –, capable de traquer les cellules cancéreuses et de les détruire. Réinjectées ensuite dans le corps du malade, ces cellules possèdent une longue durée de vie et sont donc capables d’éradiquer des cellules cancéreuses qui réapparaîtraient après plusieurs mois, voire même plusieurs années.
«Après le traitement initial, les lymphocytes T modifiés se mettent au repos et deviennent, s’ils persistent dans l’organisme du patient, des cellules mémoire en mesure de se réactiver si nécessaire, décrit Francesco Ceppi, chef de clinique dans le service d’hématologie-oncologie pédiatrique du CHUV, qui sera responsable de l’essai clinique. Il s’agit certainement de l’approche la plus novatrice de ces dix dernières années dans la lutte contre la leucémie aiguë de l’enfant, mais nous devons encore travailler pour obtenir un traitement qui soit le plus performant possible, y compris sur d’autres formes de cancers pédiatriques.»
Outre la prise en charge des leucémies, l’équipe du CHUV aimerait pouvoir offrir, par le biais de cette méthode, de nouvelles possibilités thérapeutiques aux jeunes patients atteints de tumeur cérébrale, de neuroblastome métastatique – une forme de la maladie touchant le système nerveux –, de tumeur solide ou de lymphome (cancer des ganglions lymphatiques) non hodgkinien. «Dans un premier temps, ce traitement sera proposé aux patients présentant des maladies réfractaires ou en rechute, puis nous verrons s’il est possible d’élargir les indications par la suite», détaille Maja Beck Popovic, médecin-cheffe de l’Unité d’hémato-oncologie pédiatrique du CHUV.
Critères d’éligibilité stricts
De son côté, Novartis s’est également vu attribuer, fin août, une homologation de la Commission européenne pour sa thérapie cellulaire contre la leucémie lymphoblastique aiguë à cellules B, le Kymriah. Développé en collaboration avec l’Université de Pennsylvanie, ce traitement repose aussi sur une thérapie par CAR T-cells. S’il offre une nouvelle solution prometteuse de traitement aux patients jusqu’à 25 ans, ce dernier présente toutefois un certain nombre de limitations. Son prix notamment, pouvant atteindre jusqu’à 470 000 francs. Mais pas seulement: «Le Kymriah n’est administré qu’aux patients chez qui une série de traitements antérieurs ont échoué, y compris la greffe de moelle osseuse, analyse Francesco Ceppi. Seul un nombre restreint d’enfants sera donc éligible au médicament. Le temps entre l'enregistrement d'un patient sur un protocole de traitement et l'administration du médicament varie par ailleurs entre 1 et 3 mois, ce qui est encore trop long pour un cinquième des patients.»
Contre le cancer, «une ultra-personnalisation des traitements»
Tout
juste lancé depuis Lausanne, le projet d’oncologie personnalisée SPOD
vise à mettre en réseau les données des patients atteints de cancer en
Suisse, pour des soins sur mesure. Trois questions à Olivier Michielin,
qui dirige ce programme
Mettre en commun les données moléculaires et
cliniques d’une majorité des patients en oncologie de Suisse: tel est
l’objectif du projet SPOD (Swiss Personalized Oncology Driver) lancé par
le CHUV, à Lausanne, les Hôpitaux universitaires de Genève et
l’Inselspital de Berne, en partenariat avec le Groupe suisse pour la
recherche clinique sur le cancer (SAKK).
Directeur de ce programme
qui vient de recevoir un financement de 2,3 millions du Swiss
Personalized Health Network, Olivier Michielin, chef de la division
d’oncologie personnalisée analytique au CHUV, voit ce projet comme un
premier pas vers des traitements de plus en plus personnalisés. Le Temps: En quoi la récolte de données propres à chaque patient va-t-elle faire progresser la recherche sur le cancer? Olivier Michielin: Notre
objectif, à terme, est d’aboutir à une ultra-personnalisation des
traitements, notamment des immunothérapies. Pour ce faire, nous devons
prendre en compte les propriétés du système immunitaire, mais aussi
l’ensemble des données concernant le fonctionnement de la tumeur, tel
que la génomique, la transcriptomique ou encore la protéomique. Je suis
convaincu que les réponses à une grande partie des questions que l’on se
pose en oncologie se trouvent dans cette base d’informations complexes.
Nous allons également suivre des patients sur plusieurs
années, afin de pouvoir déterminer quelle est la meilleure séquence de
traitement possible en fonction du profil des tumeurs rencontrées. Cet
aspect bien précis, personne ne l’a encore étudié, mais pour cela, nous
avons besoin d’un maximum de données.
– Vous soulignez également l’importance d’harmoniser la façon dont les cas sont décrits entre les hôpitaux…
–
C’est exact. Afin de pouvoir mettre en commun nos ressources, il est
important que nous parlions le même langage, de standardiser la
nomenclature quant à la description, par exemple, des effets secondaires
d’un traitement par chimiothérapie. Une fois que nous serons parvenus à
unifier nos forces, nous allons assurément nous retrouver face à un
tsunami d’informations utiles.
– Par ce
projet, les données récoltées pourront être exploitées en tout temps, ce
qui est plus difficile lorsqu’elles sont hébergées auprès de différents
partenaires.
Cancer : quand de « vieux » médicaments deviennent un traitement d’avenir
Des cellules cancéreuses Photo : iStock
Alors
que la chimiothérapie et la radiothérapie permettent de guérir la
majorité des cancers pédiatriques, bien peu d'options existent pour
traiter ceux pour qui ces thérapies ont échoué. Au Centre hospitalier
universitaire Sainte-Justine, à Montréal, chercheurs et médecins
travaillent sans relâche pour que leurs patients puissent bénéficier de
nouvelles méthodes à la fine pointe de la technologie. L'une d'elles est
très prometteuse et commence à porter fruit.
Un texte de Renaud Manuguerra-Gagné, des Années lumière
À
première vue, Laurent est un garçon de 12 ans comme les autres. Rien
dans son énergie ne laisse deviner qu’il est un survivant. Pourtant, il
se bat depuis trois ans contre un cancer du foie très agressif, un
cancer qui n’a commencé à régresser qu’après l’application d’une
nouvelle forme de thérapie ciblée. « Laurent nous a toujours dit qu’il
espérait que les médecins inventent une pilule pour le guérir, explique
sa mère, Hélène Tessier. On n’est pas exactement rendu là, mais c’est
très proche et ça a beaucoup aidé. »
Laurent, 12 ans, et sa mère, Hélène Tessier Photo : Radio-Canada/Renaud Manuguerra-Gagné?
Bien
qu’essentielles aux taux de survie actuels des patients, il arrive que
la chimiothérapie et la radiothérapie ne viennent pas à bout de certains
cancers. De plus, ces méthodes ne sont pas sans séquelles et peuvent
entraîner des effets toxiques non négligeables. Depuis quelques années,
les médecins tentent donc de mettre en place des traitements beaucoup
plus précis et beaucoup moins pénibles que les thérapies
traditionnelles.
Selon le Dr Michel Duval, médecin-pédiatre et
chef du département d’hémato-oncologie du CHU Sainte-Justine, ce sont
surtout les enfants qui ont le plus à gagner de ces nouvelles méthodes.
Présentement,
les patients pédiatriques chez qui la chimiothérapie et la
radiothérapie n’ont pas fonctionné sont souvent atteints de cancers pour
lesquels il est impossible de développer de nouveaux médicaments dans
de grandes études pharmacologiques. Ces patients, trop peu nombreux, ne
représentent qu’une petite fraction de l’ensemble des malades atteints
du cancer. Par conséquent, beaucoup de médicaments sont d’abord
développés pour les adultes.
Pour corriger la situation, la
communauté médicale se tourne vers deux nouvelles voies très
prometteuses. La plus connue reste l’immunothérapie et utilise les
cellules du système immunitaire pour combattre directement le cancer.
Toutefois,
une autre méthode suscite beaucoup d’intérêt. Il s’agit de
l’oncogénomique, aussi appelée thérapie ciblée. L’objectif de cette
technique est de trouver une faille dans le code génétique des cellules
cancéreuses et de l’exploiter.
Depuis deux ans, plusieurs familles
dont les enfants ne répondent pas aux traitements traditionnels ont été
approchées par l’équipe du Centre de cancérologie Charles-Bruneau de
l’hôpital Sainte-Justine.
La méthode étant encore expérimentale,
les chances qu’elle guérisse ces malades restent faibles. « Nous sommes
au début d’une nouvelle sorte de traitement, explique le Dr Duval. La
chimiothérapie a mis plusieurs décennies de perfectionnement pour
arriver au taux de réussite actuel. Il faudra le même temps pour la
thérapie ciblée, mais les résultats que nous avons obtenus sont très
encourageants! »
Tout au long du processus, les médecins restent
parfaitement transparents avec les familles en ce qui concerne les
chances de réussite. Selon le docteur Henrique Bittencourt, médecin
pédiatre impliqué dans ce projet, les proches acceptent de participer
non seulement dans l’espoir d’une guérison, mais aussi à cause d’un
grand esprit d’entraide entre les patients.
En plus de n’entraîner
aucun risque – dans le cas de Laurent, ce dernier n’a eu qu’à se
soumettre à une biopsie –, cette méthode fournit de l’information qui
sera utile pour le traitement d’autres malades.
Le Dr Michel Duval, médecin-pédiatre au CHU Sainte-Justine Photo : Radio-Canada/Renaud Manuguerra-Gagné?
Talon d’Achille d’une tumeur
Selon
Daniel Sinnett, chercheur au Centre de cancérologie Charles-Bruneau du
CHU Sainte-Justine, préparer un traitement peut prendre entre neuf et
dix semaines.
Des chercheurs vont d’abord analyser le code
génétique des cellules cancéreuses afin de comprendre les rouages qui
font progresser la maladie.
Des équipes de bio-informaticiens vont
cartographier l’ADN tumoral et assembler une liste de mutations
fonctionnelles. Ces dernières sont les mutations les plus importantes
pour la progression du cancer. Il y en aurait entre cinq et dix par type
de cellule cancéreuse.
Une fois les cibles établies, les
scientifiques vont parcourir la littérature médicale à la recherche de
quelque chose qui, à première vue, peut sembler étonnant : un médicament
déjà existant et capable de s’attaquer à ces mutations.
Pour
comprendre d’où provient un tel médicament, il faut savoir qu’il existe
des millions de molécules thérapeutiques, chacune ayant la capacité de
cibler un ou plusieurs mécanismes biologiques. Ces mécanismes peuvent
être utiles à plusieurs cellules du corps, y compris les cellules
cancéreuses.
Si, par exemple, un médicament a été développé pour
bloquer des molécules importantes pour la progression de la maladie
d’Alzheimer, et que les cellules cancéreuses d’un patient utilisent
justement cette même molécule pour fonctionner, les chercheurs pensent
qu’il serait possible d’utiliser ce médicament pour attaquer les
cellules cancéreuses.
La version audio de ce reportage est disponible sur la page de l'émission Les années lumière sous le titre L'oncogénomique : Une nouvelle arme contre le cancer
Un parcours difficile
Bien
que l’idée derrière la thérapie ciblée semble simple, fournir un tel
médicament à un malade est un véritable parcours du combattant pour les
médecins traitants.
Selon Daniel Sinnett, plusieurs embûches
peuvent interrompre ce processus : il est d’abord possible qu’il n’y ait
aucun médicament capable de cibler la mutation, soit parce que rien de
tel n’a été découvert, soit parce que le médicament n’est plus fabriqué
par la compagnie qui en possède les droits, et que, donc, il n’existe
plus.
Daniel Sinnett, chercheur au Centre de cancérologie Charles-Bruneau du CHU Sainte-Justine Photo : CHU Sainte-Justine
Si
un tel médicament est disponible, il est aussi possible que sa
posologie soit trop difficile à tolérer par un enfant, qui serait alors
affecté par des effets secondaires dangereux. Le dernier problème
d’accessibilité en est un de coût.
Étant donné que cette méthode
est expérimentale et qu’aucun résultat n’est garanti, il arrive que les
assurances publiques ou privées refusent d’en prendre la charge. Dans
certains cas, les coûts de la médication peuvent atteindre les dizaines
de milliers de dollars par mois, ce qui la rend inaccessible aux
familles laissées dans cette situation. Des résultats prometteurs
Une fois qu’un médicament sécuritaire est entre les mains des médecins, le patient fait face à plusieurs situations possibles.
« Dans
certains cas difficiles à expliquer, il est possible que le médicament
n’ait simplement aucun effet, explique le Dr Bittencourt. Il peut aussi
avoir plusieurs résultats positifs. La tumeur peut se stabiliser,
c’est-à- dire que le cancer arrête de progresser, mais sera toujours là.
Il est aussi possible que l’on observe un recul temporaire de la
maladie. Bien que les patients ne soient pas guéris, ce recul aide
beaucoup à leur traitement et peut leur donner un moment de répit avant
de reprendre des thérapies difficiles. »
Jusqu'à maintenant, sur
les quelques dizaines d’enfants participant au projet, seuls deux ont
bénéficié directement de la procédure, dont Laurent. Après deux
transplantations d’organes, son cancer a produit des métastases dans ses
poumons et ne répondait plus à la chimiothérapie.
Dès lors, sa
famille s’est fait offrir la possibilité de lui faire suivre une
thérapie ciblée expérimentale. Le médicament identifié a
considérablement réduit la taille de ses tumeurs et permis de ralentir
la progression de son cancer. Laurent est présentement suivi en
radiothérapie pour les dernières phases de son traitement. « J’ai pu
retrouver ma vie d’enfant, nous a-t-il confié. J’ai pu retourner à
l’école, voir mes amis et retrouver mon énergie. » Le début d’une nouvelle ère
Même
si le taux de réussite actuel est faible, la méthode n’en est pas moins
prometteuse. Plusieurs hôpitaux à travers le Canada, dont l’Hôpital de
Montréal pour enfants, l’Hôpital SickKids à Toronto et plusieurs centres
de la Colombie-Britannique travaillent sur différents projets pour
combiner leurs ressources et perfectionner la thérapie ciblée.
Pour
simplifier les tâches des équipes traitantes, ces derniers bâtissent
actuellement une banque de données pour savoir quel médicament a été
essayé pour quelle mutation et quel a été son effet.
L’hôpital
Sainte-Justine a justement reçu, au mois de mai dernier, un don de
22 millions de dollars de la Fondation Charles-Bruneau, dont une partie
de ce montant ira au développement des thérapies ciblées.
Selon
Daniel Sinnett, « la thérapie ciblée va sûrement prendre son envol quand
on va commencer à la jumeler avec des thérapies courantes ou avec
l’immunothérapie, ce qui n’est pas fait en ce moment à cause des
incertitudes entourant ces combinaisons ».
Dans un projet, les
chercheurs voudraient que l’on séquence le génome des tumeurs de tous
les enfants malades dès l’apparition du cancer, pour immédiatement
préparer un plan B si la chimiothérapie ne fonctionne pas.
On ne
trouvera pas de sitôt LE remède contre le cancer. Il s’agit d’un groupe
de maladies extrêmement variées, et chaque tumeur est unique à un
patient. L’essor de l’immunothérapie et de l’oncogénomique, combinées
avec l’expertise des traitements actuels développée après des décennies
d’efforts, permet d’espérer un jour guérir ces maladies avec des
traitements sur mesure, un patient à la fois.
Une première thérapie génique contre la leucémie approuvée aux États-Unis
Le traitement, le Kymriah,
est développé par un chercheur de l'Université de Pennsylvanie et
breveté par les laboratoires Novartis pour traiter la leucémie
lymphoblastique aiguë. Photo : Associated Press/Novartis
La
Food and Drug Administration (FDA), l'agence américaine des produits
alimentaires et des médicaments, a approuvé mercredi une première
thérapie génique pour combattre une forme de leucémie qui frappe des
milliers d'enfants chaque année.
Associated Press
La
thérapie CAR-T développée par la firme pharmaceutique Novartis et
l'Université de la Pennsylvanie coûtera toutefois 475 000 $ US, puisque
chaque traitement doit être développé individuellement pour chaque
patient. Novartis a précisé que ces frais seront annulés si aucune
amélioration n'est constatée après un mois.
Ce traitement, le
Kymriah, utilise les techniques de thérapie génique pour dynamiser des
lymphocytes T, des cellules immunitaires auxquelles le cancer réussit
souvent à se soustraire.
Les lymphocytes T sont extraits du sang
du patient et reprogrammés pour cibler les cellules cancéreuses, puis
des centaines de millions de copies sont injectées au patient. Les
nouvelles cellules pourront continuer à combattre la maladie pendant
plusieurs mois, voire des années.
Les premiers bénéficiaires du
CAR-T seront les patients atteints d'une leucémie aiguë lymphoblastique,
une maladie qui touche plus de 3000 enfants et jeunes adultes chaque
année aux États-Unis. Environ 15 % des patients subissent une rechute et
leur pronostic est alors sombre.
Sur les 63 participants à une
étude, 23 sont entrés en phase de rémission, mais on ne sait pas combien
de temps cela durera. D'autres ont subi une rechute. Il a été constaté
aussi que le CAR-T peut s'accompagner d'effets secondaires très graves,
voire mortels, qui devront être surveillés de près en milieu
hospitalier.
Le pourcentage de rémission serait néanmoins
supérieur à celui de n'importe quel autre traitement pour une rechute
d'une leucémie.
La thérapie CAR-T pourrait remplacer la greffe de
moelle osseuse qui est souvent utilisée comme traitement, mais qui peut
coûter plus de 500 000 $ US.
Le CAR-T ne sera pour le moment
proposé que dans certains hôpitaux dont le personnel a été formé pour
administrer cette thérapie sophistiquée et en gérer les effets
secondaires.
Les scientifiques essaient maintenant de mettre au
point une thérapie CAR-T pour combattre des tumeurs solides, comme un
cancer du cerveau ou du sein, ce qui est nettement plus complexe. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1053175/fda-approuve-therapie-genique-kymriah-leucemie-enfants
Traitement de la leucémie : une méthode au « potentiel énorme » à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont
Le directeur du Centre de thérapie cellulaire de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, le Dr Denis Claude Roy Photo : Anne-Marie Provost
Même en matière de sexualité, «y'a plus de jeunesse!»
CHRONIQUE. On a tendance à associer les soucis d’impuissance à la prise d’âge. Pourtant, selon une toute récente étude de l’Ifop/Charles.co, 18% des hommes de moins de 30 ans ont régulièrement des problèmes d’érection. Comment l’expliquer? se demande notre chroniqueuse Maïa Mazaurette
Parce que la sexualité fait partie de nos vies mais qu'elle reste pourtant taboue, «Le Temps» inaugure un nouveau rendez-vous: deux fois par mois, la chroniqueuse et journaliste Maïa Mazaurette donnera son point de vue sur un sujet d'actualité
Les jeunes sont-ils en train de perdre leurs érections? C’est ce que suggérait, il y a deux ans, une étude menée par des chercheurs de l’Université de Florence, qui rapportaient une augmentation des cas de dysfonction érectile chez leurs jeunes patients.
Surprenant, non? Souvent, on associe les soucis d’impuissance à la prise d’âge. Seulement, selon une toute récente étude de l’Ifop/Charles.co, 18% des hommes de moins de 30 ans ont régulièrement des problèmes d’érection… alors même qu’on tombe à 13% chez les hommes de 30 à 49 ans. Le verdict semble indéniable: en 2019, les jeunes ont plus de problèmes que leurs parents (mais moins que leurs grands-parents, concernés à 40%).
Il serait facile d’invoquer les «suspects habituels» que sont, dans le désordre: les perturbateurs endocriniens, la pornographie, internet, la sédentarité, le sucre, le gras, la fin du monde, les attentes irréalistes, la sexualisation de la société, et, tant qu’à faire, les cigarettes électroniques, la blanquette de veau et les jeux vidéo.
On aimerait répondre qu’il s’agit de clichés, mais les statistiques donnent raison à presque tous ces scénarios (reprenez quand même un peu de cette blanquette): 44% des hommes concernés consomment des antidépresseurs et 33% sont stressés (contre à peine 11% d'hommes très relaxés). Or on sait bien qu’entre la crise d’adolescence, le départ du domicile parental et la recherche d’un premier emploi, les jeunes sont susceptibles de traverser pas mal d’angoisses et de défis. Sans même parler de devoir «faire ses preuves» avec des partenaires potentiellement multiples.
Les chiffres de la consommation de pornographie sont tout aussi prévisibles: les hommes qui ont «souvent» des difficultés sont les plus adeptes de plaisirs pixélisés (notez bien qu’on peut lire la causalité dans les deux sens: ceux qui se trouvent inaptes au sexe relationnel, parce qu’ils ont honte de leurs «performances», se rabattent peut-être sur le porno). Enfin, ce visionnage se replace dans un contexte plus large puisque les hommes touchés sont aussi plus consommateurs de télévision, de streaming, de réseaux sociaux et d’internet.
Parler de leurs érections plutôt que faire l'autruche
Que faire avec ces jeunes qui ont, littéralement, des problèmes de vieux? Eh bien, avant de les accuser, enfonçons une porte ouverte: ils héritent du monde que les adultes leur laissent. Un monde stressant, déprimant parfois. Un monde qui monétise sans vergogne leur temps de cerveau. Un monde qui prétend être concerné par les conditions de production, et d’accès, à la pornographie – mais qui, essentiellement, fait l’autruche.
Car avant tout, les jeunes héritent d’un monde qui ne veut pas entendre parler de leurs érections, sous prétexte que le sexe serait une affaire privée, triviale, non politique. Pourtant, les conséquences existent. Certains prennent des pilules bleues (46%). D’autres prennent de l’alcool (44%) et des drogues (48%). Alors d’accord, faire l’autruche est moins nocif pour la planète que consommer de la corne de rhinocéros. Mais on devrait quand même pouvoir faire mieux que ça: en parler, par exemple.
Expérimentation, virginité, MST… Une enquête dit tout de la sexualité des jeunes en Suisse
Le dernier scanner datait de 1995. Il était temps de refaire le point sur l’intimité des jeunes de 26 ans dans notre pays. L’Institut universitaire de médecine sociale et préventive du CHUV s’y est attelé et le résultat est passionnant
En Suisse, 5% des jeunes de 26 ans sont puceaux. A l’autre bout de la chaîne des plaisirs, 49% d’entre eux ont déjà expérimenté le sexe anal. 90% ont entretenu une relation stable et 14% font état d’expériences homosexuelles. Côté procréation, 11% des jeunes femmes sont déjà tombées enceintes, et, dans 57,6% des cas, les grossesses ont été poursuivies. Etonnant: seul 28% de cette population a eu un rapport sexuel avec une personne rencontrée sur internet. Plus étonnant encore: 17,5% des jeunes hommes annoncent des difficultés érectiles…
Vous en voulez plus? Plongez dans le très passionnant «Rapport sur la santé et le comportement sexuel des jeunes en Suisse», publié par l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive (IUMSP) du CHUV. Cette mine de renseignements, qui est disponible sur le site de l’institut, émane d’une enquête menée durant trois ans au niveau national à travers des questionnaires électroniques et confidentiels.
Bonne nouvelle. Au niveau des participants, la répartition linguistique est respectée, ainsi que, dans une moindre mesure, l’équilibre entre les statuts socioculturels – la moitié des profils sont universitaires, un gros quart a accompli un apprentissage. Moins bonne nouvelle: sur les 49 798 personnes contactées au départ, seules 7142 se sont prêtées à l’exercice de manière concluante, soit 15% du spectre souhaité. «C’est un bémol, reconnaît Joan-Carles Suris, professeur à l’IUMSP et responsable du groupe de recherche. Mais au vu de la variété des profils, cette réserve ne remet pas en cause la fiabilité des résultats.» Des résultats qui montrent que la santé sexuelle des jeunes en Suisse est saine, mais que le rapport de force est toujours en faveur des hommes et qu’il faut surveiller les activités sexuelles en ligne dont les effets sont encore peu documentés. Panorama en pointillé avec notre analyse maison.
■ Etat des relations
94% des jeunes femmes et 89% des jeunes hommes ont déjà connu une relation stable. Environ trois participants sur quatre étaient d’ailleurs dans une telle relation au moment de l’enquête. Plus de 70% des profils ont eu des partenaires sexuels occasionnels – pour un total entre deux et sept –, mais le pourcentage se réduisait à environ un quart au cours des trente derniers jours. Analyse En Suisse, les jeunes de 26 ans plébiscitent la stabilité relationnelle. La plupart d’entre eux ont eu une période de butinage, mais, pour beaucoup, elle appartient déjà au passé.
■ Pratiques sexuelles
17 ans: c’est l’âge moyen auquel les jeunes en Suisse ont leur premier rapport sexuel. 95% des interviewés ont pratiqué la pénétration vaginale et la moitié annonce un rapport hebdomadaire. 96% des profils ont expérimenté le sexe oral et 49% ont fait de même avec la pénétration anale. Les participants relatant avoir pratiqué le sexe en groupe, utilisé des médicaments pour améliorer leurs performances ou été menacés pour obtenir une relation sexuelle sont minoritaires. Par contre, 56% des hommes et 46% des femmes ont déjà eu un rapport alors qu’ils étaient alcoolisés. Analyse Il est faux, mais ce n’est pas une surprise, de penser que les jeunes en Suisse ont généralement leur premier rapport sexuel entre 14 et 16 ans. La surprise porte sur le nombre de relations anales. Presque 50% des 26 ans l’ont déjà pratiquée, c’est étonnant. En revanche, que sexe et alcool soient souvent associés à cet âge festif, on s’y attendait!
15% des jeunes femmes et 13% des jeunes hommes ont connu des expériences homosexuelles ou bisexuelles, mais, en termes d’identité, 92% des participants se décrivent comme hétérosexuels, 6% comme homosexuels ou bisexuels et un peu de moins de 2% ne savent pas. Les hommes (4,6%) sont plus représentés que les femmes (1,8%) dans le cas d’une attraction pour une personne du même sexe. Analyse Il y a un pas, c’est logique, entre tester l’homosexualité et la bisexualité et se déclarer de telle ou telle orientation. Dans ce registre, il semblerait que les jeunes hommes soient plus libérés.
Seules 22% des jeunes femmes ont eu un rapport sexuel avec une personne rencontrée sur internet. Ce pourcentage s’élève à 35 pour les jeunes hommes. Concernant les activités sexuelles en ligne, les hommes sont plus aussi plus nombreux. Environ 3 répondants sur 4 ont déjà envoyé un message texte, une photo et/ou une vidéo sexy d’eux-mêmes. De plus, presque 80% des participants ont déjà reçu de tels messages. 22% ont rapporté avoir déjà transféré ou montré un tel message à d’autres personnes sans consentement. Dans ce cas, les hommes étaient surreprésentés. Analyse On aurait imaginé que les rencontres en ligne étaient plus plébiscitées par cette génération. 28% en moyenne, c’est peu. C’est une découverte aussi d’apprendre que 80% des jeunes adultes ont déjà reçu des textos, photos, vidéos sexy. Un point noir pour les garçons: ce sont eux en grande majorité qui diffusent ces contenus privés sans consulter les intéressé.e.s.
■ Contraception et grossesse
93% des interviewés ont utilisé un moyen de contraception ou de protection au cours de leur premier rapport sexuel, principalement le préservatif masculin. Cependant, pour la dernière relation sexuelle avant l’enquête, donc autour des 26 ans, les méthodes de contraception étaient divisées de manière plus égale entre le préservatif masculin et la pilule contraceptive. Côté procréation, 11% des femmes ont déjà été enceintes et 8% des hommes ont déclaré avoir déjà eu une partenaire enceinte à la suite d’une relation sexuelle avec eux. Parmi les femmes, les grossesses, dont 48% étaient désirées, ont été poursuivies dans 57,6% des cas, et dans presque 30%, elles ont été interrompues. Parmi les hommes, les grossesses ont été poursuivies dans 49% des cas et interrompues dans 42%. Analyse La capote a la cote. Normal, avec la menace du sida, dont on verra les impacts ci-après. Il est tout aussi normal que les moyens de contraception évoluent en fonction de la stabilité de la relation. Quand un bébé arrive, les jeunes ont tendance à le garder, même s’il n’était pas planifié.
■ VIH et MST
45% des jeunes ont déjà fait un test de dépistage du virus responsable du sida, les femmes un peu plus que les hommes. La plupart des interviewés ont rapporté un résultat négatif. 10% ont déjà été diagnostiqués pour une infection sexuellement transmissible. C’est l’infection à la chlamydia qui a le plus souvent été citée. Analyse On peut supposer que les jeunes ont un comportement safe, sinon, ils seraient plus d’une petite moitié à se faire tester pour le VIH. C’est bien, car depuis que le sida est passé d’une maladie mortelle à une maladie chronique, on redoute un relâchement sur le front de la protection.
■ Dysfonctionnements sexuels
17,5% des jeunes hommes évoquent des problèmes d’éjaculation précoce et le même pourcentage annonce un trouble de l’érection. Cela dit, ce trouble va de modéré à sévère pour seulement 0,6% d’entre eux. Du côté des jeunes femmes, une sur neuf relate des dysfonctionnements sexuels sans préciser lesquels. Face à ces problèmes, la plupart des profils (86% des hommes) ont cherché la solution sur internet et/ou, du côté des femmes, auprès d’un gynécologue. 10% des femmes et 13% des hommes ont indiqué que l’aide reçue n’a pas porté ses fruits. Analyse Près de 18% des jeunes hommes avec des difficultés d’érection, c’est une surprise.
53% des jeunes femmes avouent avoir accepté des relations sexuelles sans en avoir envie, contre 23% des jeunes hommes. Cela pour adoucir la relation. 3% d’entre elles rapportent qu’elles ont déjà reçu de l’argent ou des cadeaux en échange d’un rapport sexuel. Enfin, 15% des jeunes femmes ont été victimes d’assauts et/ou d’abus sexuels, contre 2,8% des jeunes hommes. Analyse Depuis #MeToo, la parole des femmes s’est libérée et ces chiffres ne sont malheureusement pas une surprise. Le rééquilibrage des genres est en cours, promet la nouvelle génération qui veut croire en un changement en profondeur.
«Les jeunes adultes vivent des relations de qualité»
Professeur en santé des adolescents au sein de l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive (IUMSP), Joan-Carles Suris a dirigé l’équipe des cinq chercheurs qui ont élaboré cette vaste enquête.
Le Temps: Dans votre conclusion, vous dites que la sexualité des jeunes adultes en Suisse est saine. Pensez-vous cette appréciation en termes de sécurité ou de qualité?
Joan-Carles Suris: Les deux. Déjà, on est très heureux de voir que 93% des jeunes utilisent le préservatif lors de leur premier rapport. C’est un très bon chiffre, rassurant. Ensuite, une grande majorité des interviewés ont décrit leur relation comme agréable. La qualité est donc aussi au rendez-vous.
En commentaire, vous ne faites aucune mention de la pornographie. Pourquoi?
Déjà, parce que les chiffres sont connus. 95% des garçons et 75% des jeunes femmes ont confirmé en avoir déjà regardé, ce que l’on savait. Surtout, parce que lors d’une précédente étude, il a été établi que la pornographie n’est pas un modèle qui influence les relations sexuelles.
Le chiffre qui m’a le plus surpris, c’est les 23% de jeunes hommes qui relatent avoir parfois des relations sexuelles sans les désirer
49% des jeunes de 26 ans déclarent avoir déjà eu une relation anale. Une surprise pour vous?
Non, car il y a un vrai changement générationnel concernant cette pratique. Un changement qui est aussi lié à cette mode voulant que les jeunes filles conservent leur virginité en pratiquant le sexe anal.
Quel est le résultat auquel vous ne vous attendiez pas?
Le chiffre qui m’a le plus surpris, c’est les 23% de jeunes hommes qui relatent avoir parfois des relations sexuelles sans les désirer. Que 53% de jeunes femmes le déclarent est malheureusement plus prévisible. Mais que des jeunes hommes se sentent aussi obligés de faire l’amour, soit pour conserver leur partenaire, soit pour adoucir l’ambiance à la maison et qu’ils le disent, cela est très nouveau.
«Rapport sur la santé et le comportement sexuel des jeunes en Suisse», Yara Barrense-Dias, Christina Akre, André Berchtold, Brigitte Leeners, Davide Morselli, Joan-Carles Suris. IUMSP. CHUV. Le rapport est téléchargeable depuis le jeudi 6 septembre sur le site de l’institut.
Les pratiques sexuelles des jeunes en Suisse passées sous la loupe
La sexualité des jeunes est globalement saine. Voici la principale conclusion de l’enquête nationale sur la santé et les comportements sexuels des jeunes adultes en Suisse réalisée sous la responsabilité de l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive (IUMSP) du CHUV, avec la collaboration de l’Hôpital universitaire de Zurich. Autres constats : internet joue un rôle toujours plus important dans les activités sexuelles des jeunes en Suisse et les femmes sont plus nombreuses à faire état d’expériences sexuelles non désirées et d’abus sexuels.
Contactés de manière aléatoire, 7142 jeunes âgés 26 ans en moyenne ont répondu en ligne aux questions d’un groupe de chercheurs et chercheuses de l’IUMSP/CHUV, du Pôle de recherche national LIVES à l’Université de Lausanne et de l’Hôpital universitaire de Zürich. « Globalement, la plupart des jeunes en Suisse ont une santé sexuelle saine », résume le prof. Joan-Carles Suris, responsable du Groupe de recherche sur la santé des adolescents (GRSA) au sein de l’IUMSP, investigateur principal de l’étude financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique.
Au moment de l’enquête, 75% des jeunes étaient dans une relation stable qui avait débuté vers leurs 22 ans. 95% avaient déjà eu une ou un partenaire sexuel au cours de leur vie et 86% n’avaient expérimenté que des contacts hétérosexuels. L’âge moyen du premier contact sexuel se situe juste en-dessous de 17 ans. Presque tous les jeunes ont déjà pratiqué le sexe oral (96%) et la pénétration vaginale (95%). Le même pourcentage de femmes et d’hommes (49%) ont indiqué avoir déjà expérimenté le sexe anal. Ils sont une très petite minorité à avoir expérimenté le sexe en groupe ou à utiliser des médicaments pour améliorer les performances sexuelles.
Beaucoup de choses ont changé en matière de sexualité au cours des vingt dernières années, marquées entre autre par la banalisation du sida et l’apparition d’internet. Plus de la moitié des jeunes ont ainsi déjà eu recours à un site ou une application de rencontres, soit 62% des hommes et 44% des femmes. Les hommes sont 48% à avoir eu un rendez-vous avec une personne rencontrée sur internet (43% pour les femmes) et 36% à avoir une conversation érotique en ligne (28% pour les femmes). 35% des hommes (22% des femmes) ont déjà eu une relation sexuelle avec une personne rencontrée sur internet. Des études approfondies sur la fréquence et les risques potentiels encourus lors d’activités sexuelles en ligne seraient nécessaires.
Dans une large majorité (93%), les jeunes ont utilisé un moyen de contraception / protection lors de leur premier rapport sexuel, principalement avec le préservatif masculin (84%). La contraception évolue toutefois avec l’âge. Lors de leur dernière relation sexuelle, les méthodes de contraception et de protection les plus utilisées étaient le préservatif (54%) et la pilule (45%). Enfin, près de la moitié des femmes ont déjà eu recours à la pilule du lendemain. Cependant, même si le taux d’utilisation du préservatif est assez élevé, une infection sexuellement transmissible (IST) a été diagnostiquée auprès de 10% des jeunes. Enfin, 45% des jeunes ont déjà fait un test de dépistage du VIH, avec un résultat négatif pour la quasi-totalité des cas.
Les femmes sont largement plus nombreuses que les hommes à avoir accepté une expérience sexuelle sans vraiment le désirer (53% contre 23%). Comme première raison, elles indiquent l’avoir fait pour garder une bonne relation avec leur partenaire. 16% des femmes ont indiqué avoir été victimes d’un abus sexuel ou d’un viol, contre 2.8% chez les hommes. Une petite minorité (3,7% chez les hommes, 2,8% chez les femmes) de jeunes échangent des faveurs sexuelles contre de l’argent, des cadeaux ou des avantages.
Renseignements :
Prof Joan-Carles Suris, Institut universitaire de médecine sociale et préventive du CHUV, 021 314 73 75 / 079 556 84 29 joan-carles.suris@chuv.ch (français)
Prof. Brigitte Leeners, Universitätsspital Zürich, Klinik für Reproduktions-Endokrinologie, 044 255 5009 Brigitte.Leeners@usz.ch (allemand)
Santé
Julie Rambal
Publié vendredi 8 septembre 2017 à 19:46,
modifié lundi 11 septembre 2017 à 12:12.
Société
La sexualité des jeunes Suisses à la loupe
On
les dit de plus en plus précoces, et même prêts à monnayer leur corps
pour un nouveau sac main… Loin des clichés, une vaste enquête sur la
sexualité des jeunes Suisses âgés de 14 à 25 ans fait le point
Après deux ans d’enquête, la Haute Ecole de travail
social de Fribourg (HETS-FR) a rendu les résultats d’une étude baptisée
«Sexe, relations… et toi?» Celle-ci s’est intéressée aux «transactions
sexuelles impliquant des jeunes en Suisse.» Il s’agissait d’abord
d’évaluer leur rapport à la prostitution, mais aussi leurs relations
dans une forme plus large d’échanges symboliques, afin de comprendre
leurs difficultés et de mieux les aider.
Premier constat: la
prostitution reste marginale, et sert d’ailleurs de repoussoir aux
jeunes, qui rejettent violemment l’idée de recevoir de l’argent. Cet
été, 20 minutes révélait pourtant que l’appli «Jodel», très
prisée des étudiants, avait fermé sa rubrique «argent de poche» suite à
l’apparition d’une cinquantaine d’annonces de sexe tarifé: 100 francs
contre des sous-vêtements usagés, 1000 francs pour «participer à un plan
à trois»…
Phénomène rare
Annamaria Colombo, chercheuse au
HETS-FR et responsable de l’étude, a elle-même croisé certains
étudiants monnayant leurs charmes, mais insiste sur le fait qu’ils sont
rares. «Ils trouvent qu’ils ne gagnent pas assez avec leurs petits
boulots, reçoivent peu ou pas d’argent de leurs parents, et vendent
leurs services pour payer leurs études» explique-t-elle. Et pour ceux
qui s’y adonnent, la honte permet rarement d’en parler…
Mis à part
ces cas isolés, Annamaria Colombo souligne que la nouvelle génération
est loin du cliché selon lequel elle aurait banalisé la sexualité: «Il
n’y a pas vraiment de changement dans les pratiques. Les jeunes
continuent de prendre leur temps, et associent le sexe au plaisir, à
l’identité et à la découverte de soi. Ils ont parfois un nombre plus
élevé de partenaires, et certains expérimentent les aventures d’une
nuit, ce qui peut faire peur aux adultes, mais ces expériences se font
dans un cadre précis, choisi… Nous sommes dans une époque où la
socialisation des jeunes passe par l’expérimentation, et la sexualité
n’échappe pas à ce processus.»
Et ce que les jeunes retirent de cette expérimentation
est, pour la majorité, positif… même si le basculement sociétal du tout
interdit au tout permis en laisse certains hagards: «Ils trouvent qu’on
est passés d’un discours moralisateur du type «ce n’est pas de ton âge» à
un discours hygiéniste du genre «fais ce que tu veux, mais protège-toi»
qui réduit la sexualité aux aspects techniques» constate la chercheuse.
Or ils souhaiteraient un espace afin de pouvoir évoquer leurs doutes
sur la notion du bon moment, du consentement mutuel, etc.»
Logique de redevabilité
A l’ère
de la post-libération des mœurs, et alors que la jeunesse est largement
encouragée à expérimenter sur tous les fronts, cette question du
consentement devrait sans doute être enseignée au même titre que la
contraception ou les MST. Car l’enquête laisse entrevoir une inquiétante
«logique de redevabilité» pesant sur les jeunes filles. «Ce sont des
filles qui se sentent obligées d’accepter un baiser ou de coucher,
explique Annamaria Colombo. Par exemple elles se trouvent en boîte,
ratent le dernier train pour rentrer chez elle et un garçon les héberge.
Elles vont alors accepter un rapport par peur de passer pour une
«profiteuse.»
On retrouve ce sentiment d’être redevable à divers
degrés chez presque toutes les filles. «De leur côté, en entretien, les
garçons se défendent d’un: si elle ne veut pas, elle n’a qu’à le dire»,
précise la chercheuse. Bref, mœurs modernes… mais communication
moribonde. Lire également :Sexualité, les nouvelles générations refusent de rentrer dans les cases
Au
point que certains acteurs auprès des jeunes insistent déjà sur le
consentement. En mars dernier, l’Espace santé étudiants de l’Université
de Bordeaux, en France, diffusait ainsi un clip pour évoquer cette «zone
grise» qui entoure les relations sexuelles. Leur slogan? «Pas vraiment
oui? Pas tout à fait non? Finalement, le consentement ce n’est pas
toujours simple… Quand vous n’êtes pas sur-e-s des envies de l’autre,
demandez-lui!»
L’enquête de la HETS-FR a également le mérite de
rappeler que les filles se sentent d’autant plus redevables qu’elles ont
reçu une éducation ancrée dans les stéréotypes de genre. «Les filles
intériorisent très rapidement l’exigence de responsabilité de soi, mais
également de l’autre, constate Annamaria Colombo. Alors que du côté des
garçons, l’entrée dans la sexualité est davantage marquée par
l’apprentissage individuel et la découverte de soi. On peut d’ailleurs
observer, dans les propos de plusieurs jeunes hommes, un certain
détachement par rapport aux conséquences de leurs actes pour leur
partenaire…»
Les désastres du «sexfie»
Evidemment, les
stéréotypes de genre sévissent jusque dans la perception des expériences
amoureuses et sexuelles: «Les filles sont plus susceptibles d’être
traitées de «putes […] Elles ont plus souvent honte et se sentent plus
souvent coupables», dixit la chercheuse. Bref, sur le front de la
jeunesse, rien de très neuf question clichés, même dans ce millénaire
naissant.
La grande différence est que cette génération possède un
smartphone et un accès aux réseaux sociaux. Et que de nombreux jeunes
s’adonnent à présent aux «sexfies», ces billets doux sous forme de
photos intimes. Dans la presse féminine, les conseils vont même bon
train: «Comment réussir son sexfie?», «Six conseils pour réussir son
selfie sexy», etc. Mais selon l’étude, ce nouveau flirt reste positif et
participe à la «construction de l’autonomie».
Le high-tech peut
néanmoins amplifier les désastres quand les choses tournent mal. Car
certains «très jeunes» acceptent parfois l’envoi de photos ou vidéos
dénudés «pour obtenir la reconnaissance d’un partenaire», qui de son
côté pourra diffuser ces images «s’il recherche la popularité auprès de
ses pairs».
Vers moins de stéréotypes
Et là encore, les
entretiens démontrent que les jeunes souhaitent plus d’espaces pour
s’épancher, sans se sentir stigmatisés. «Il faut qu’ils sentent que les
adultes les reconnaissent légitimes à avoir une sexualité, ce qui reste
le meilleur moyen de libérer leur parole» analyse Annamaria Colombo dont
les conclusions soulignent que, loin du cliché d’une
«hypersexualisation» de leur génération, les jeunes restent sages et
doivent surtout apprendre au plus vite à déconstruire les stéréotypes de
genre.
«Les filles subissent des injonctions de comportement très
normées: elles ne doivent pas faire trop petite fille, montrer qu’elles
deviennent des femmes, mais ne pas faire trop «pute», un mot qui
revient souvent dans tous les entretiens… Hélas, aujourd’hui encore,
devenir adulte, c’est se rendre compte qu’il y a des normes et des
jugements très sévères autour de la sexualité.» https://www.letemps.ch/societe/2017/09/08/sexualite-jeunes-suisses-loupe
Sexualité, les nouvelles générations refusent de rentrer dans les cases
Encore
2 articles gratuits à lire
Margot Delévaux
Publié samedi 25 juin 2016 à 18:05,
modifié lundi 12 juin 2017 à 15:24.
Generation
Sexualité, les nouvelles générations refusent de rentrer dans les cases
Le
duo homo/hétéro est mort. Asexuel, skoliosexuel, lithromantique: la
génération des moins de 30 ans s’identifie grâce à une multitude de
nouveaux termes définissant leur orientation sexuelle
Pansexualité? Queer? Graysexuel? Vous ignorez la
signification de ces mots? Les jeunes, eux, la connaissent. Des nouveaux
termes pour leur permettre de s’identifier. Dans cette évolution
permanente, la bipolarité hétéro/homo semble révolue. Pour Caroline
Dayer, chercheuse associée de l’Institut des Etudes genre de Genève, «la
binarité n’est pas naturelle, elle renvoie à une construction
historique et sociale. Aujourd’hui, les jeunes créent un panorama plus
large pour se définir plus facilement.»
Notre enquête #GénérationCH
Le Temps a lancé au printemps une enquête sur les modes de vie et de
pensée, 85 questions auxquelles 1206 internautes ont répondu. Retrouvez
chaque jour de cette semaine une thématique du questionnaire accompagnée
d'analyses et de témoignages. Aujourd'hui: troisième volet.
Lire aussi:
La richesse sémantique des Millennials déconcerte les générations
précédentes. Et c’est pour rester en adéquation avec la réalité du
terrain que VoGay change de nom. Auparavant, «association de personnes
concernées par l’homosexualité», l’organisation vaudoise devient
«association pour la diversité sexuelle et de genres». Florent Jouinot,
36 ans, est l’initiateur du groupe Jeunes (jusqu’à 25 ans). Il observe
une construction identitaire plus précoce: «Il y a des coming out à
11-13 ans. Moi, j’ai rencontré le premier gay se définissant comme tel à
19 ans! Désormais, les questions d’identité commencent dès 6 ans.»
L’avènement des blogs spécialisés a facilité la circulation des
nouveaux mots. Dans ce panel de choix, les jeunes peuvent avoir du mal à
se décider. «Tous ces termes créent une tension et cela introduit des
opportunités que d’autres générations n’avaient pas. Mais il faut
choisir, c’est le poids de la liberté.» analyse Véronique Mottier,
professeure en sociologie à Lausanne et directrice d’études en sciences
politiques et sociales au Jesus College de Cambridge.
Néanmoins, Caroline Dayer relève un paradoxe dans la création de ces
nouveaux termes. «Prenons l’acronyme LGBTIQ (Lesbian, Gay, Bisexual,
Transgendered, Intersexual, Queer). Les personnes concernées sont
souvent stigmatisées. Ce sigle rend visible les questions des droits
humains, mais on fait à nouveau une catégorisation, car derrière ces
lettres, toutes ces personnes ne vivent pas la même chose.»
Pour Florent Jouinot, les vrais enjeux apparaissent intersectionnels:
«Si l’on est homosexuel, blanc avec une bonne situation, pas de soucis!
Mais lorsque vous avez une deuxième vulnérabilité (origine ethnique,
handicap, religion, statut professionnel et financier), c’est plus
difficile de s’assumer et se faire accepter.»
«Impossible de ne pas s’identifier»
Selon son contexte d’intervention, Florent Jouinot s’identifie
différemment. «Dans un collège, je dis que je suis gay. Mais dans une
discussion avec des étudiants, je ne suis ni gay, ni hétéro, ni homme,
ni femme.» Toute classification produit un effet de hiérarchie selon
Véronique Mottier. «Nous créons des possibilités de stigmatisation. Mais
il est impossible de ne pas s’identifier. Même le rejet du label est
une forme de classification.» Lire aussi: L’illusoire liberté sexuelle des adolescents
Les jeunes générations attendent simplement une validation de notre
part souligne Florent Jouinot. «Quand certains viennent nous voir, ils
ont déjà fait 90% du chemin seuls avec des réflexions et des lectures.
Ils nous demandent s’ils sont légitimes à se définir ainsi.» Florent
Jouinot ne parle plus d’identité sexuelle, mais «d’orientation sexuelle
et affective». «L’identité sexuelle est un terme fourre-tout, c’est
comme si on résumait tout à la génitalité ou à la pratique sexuelle!»
Amour toujours
Malgré l’hypersexualisation de la société, l’amour reste l’aspiration
principale de la Génération Y. Suite au questionnaire en ligne du
Temps, 86% des moins de 30 ans estiment qu’il faut être fidèles. C’est
en partie pour cette raison que le cabinet du docteur Christian Rollini,
thérapeute de couple spécialiste en sexologie, ne désemplit pas. Le
sexologue utilise, lui aussi, un vocabulaire précis: «Je parle des
sexualités et non pas d’une seule.» Et dans cet échantillon de nouveaux
termes, l’amour apparaît comme le lien. «Mes jeunes patients parlent
beaucoup d’amour, c’est leur préoccupation numéro 1. Avec l’essor des
réseaux sociaux, la modification de la sphère privée est inévitable. Ils
sont isolés devant leur écran, mais ce qu’ils cherchent, c’est se
reconnecter avec les autres».
En dépit du succès des applications de rencontres comme Tinder ou
Grindr, le Docteur Rollini affirme que «l’humain a tendance à être plus à
l’aise dans une relation stable. Certes, il y a un réel changement dans
la consommation des relations. Il est plus facile de passer d’une
personne à l’autre. Cela peut être bénéfique pour ouvrir le champ des
possibles et gagner en expérience. Mais de l’autre côté, il y a la
prolifération des MST.»
«Wild-dating»
Multiplier les expériences à court terme pour une plus grande
richesse sexuelle? Un leurre pour le Docteur Rollini: «La recherche de
la performance engendre des actes mécaniques. Et les premières images
pornographiques, vues en 8 et 12 ans, participent à cette pression
sexuelle.»
Malgré cette apparente émancipation sexuelle, la jeune génération
crée de nouvelles barrières. Véronique Mottier s’étonne du jugement d’un
de ses étudiants âgés de 20 ans. «Il me parlait de «wild-dating». C’est
lorsque l’on sort et on espère rencontrer quelqu’un. Il trouvait cela
dangereux. C’est l’opposé de Tinder et Facebook, où on peut tout savoir
de la personne avant de la rencontrer. Avant, on rencontrait des
partenaires comme ça, et c’était loin d’être considéré comme risqué.» Un
nouveau vocabulaire pour une pratique ancienne.
Témoignages
«Je crois encore en l’amour de toute une vie»
Patricia, consultante en assurances de 27 ans, se décrit
comme l’idéaliste d’une génération désenchantée, entre divorces et
plaisirs éphémères
«Pour moi, notre société actuelle n’aide pas à croire en l’amour. Les
jeunes ont souvent l’air perdu amoureusement, ils donnent l’impression
qu’ils ne rêvent plus d’une relation sentimentale «traditionnelle»,
comme celle de leurs parents. Mais en réalité, je pense que ce n’est que
le reflet d’une société dictée par l’égoïsme, le bonheur éphémère et
l’hypersexualisation. Et par la déception que l’on peut ressentir face
au divorce de ses parents, par exemple.
Personnellement, je crois encore en l’amour de toute une vie.
D’ailleurs, j’idéalise beaucoup l’amour, le vrai, qui n’est pas que
passion. Celui pour lequel il faut parfois se battre, souffrir mais qui a
son fondement dans la bienveillance et l’altruisme. J’ai avant tout
hérité cette vision de mes parents, qui vivent une telle relation
eux-mêmes et, étant catholique, j’ai tendance à penser que le bonheur
éphémère n’est pas le bonheur sur lequel on doit s’attarder. Bien qu’il y
ait beaucoup de divorces, j’y crois encore car je pense que ma vie ne
doit pas forcément être similaire à celle des autres. Ce n’est pas parce
que cela ne fonctionne pas dans d’autres couples que cela ne peut pas
fonctionner dans le mien.
Je trouve qu’il est difficile aujourd’hui de trouver quelqu’un pour
construire une relation durable. Mais je pense aussi qu’on est
généralement attiré par un type de personnes qui nous ressemble, qui a
des souhaits similaires aux nôtres. Evidemment, je pourrai tout de même
être déçue un jour. J’espère que cela ne sera pas le cas.»
«Nous n’avons pas dit au revoir à toutes les peurs du passé»
Pour Michel, 53 ans, éducateur de la petite enfance à Genève
et membre d’une communauté LGBT, si l’on parle plus des identités
sexuelles aujourd’hui, les tabous subsistent
«J’ai grandi dans un milieu fribourgeois catholique, ce qui fait que
je n’avais aucune possibilité de m’identifier comme bisexuel. A
l’époque, cela n’existait pas. Tout ce qui était relatif au corps, à la
sexualité, était tabou. Il y a trente ans, on était dans quelque chose
de très oppressant, il y avait cette peur panique de l’homosexualité et
de la différence.
De nos jours, il me semble que toutes ces nouvelles appellations
d’identité et de genre ouvrent une pluralité des possibles. Car la
binarité enferme, elle force à choisir son camp, alors qu’en réalité on
ne choisit pas qui on aime. Être hors de ces deux grandes boîtes, cela
permet d’être sensible à ce que l’on ressent, de s’écouter soi-même.
Par rapport à ma génération, je dirais surtout qu’on parle davantage
de ces thématiques aujourd’hui, dans les médias notamment. Les jeunes
ont aussi accès à plus d’interlocuteurs via Internet.
Mais tout cela reste encore trop souvent confiné au milieu protégé
des associations, auxquelles le grand public s’intéresse peu. Il
subsiste un «eux» et un «nous» très fort. Finalement, l’expression LGBT
est vieille de vingt ans, mais on ne sait toujours pas très bien ce
qu’elle signifie! On la réduit à une identité sexuelle, alors qu’il
s’agit d’une réalité multiple, amicale et émotionnelle.
La société garde ce même rejet pour tout ce qui touche la sexualité.
Je crois qu’elle a encore très peur de remettre ses valeurs en question.
Nous n’avons pas dit au revoir à toutes les peurs du passé, à tous les
interdits intériorisés! Quand Monsieur Freysinger dit qu’il n’y a pas de
problème d’homophobie à l’école, que tout est bien géré, je ne le crois
pas. L’identité et l’orientation sexuelles restent une cause de
profonds malaises.»
«Je suis pour l’union libre, une conception plus réaliste»
Delphine, 25 ans, étudiante valaisanne en journalisme et
communication, fuit la routine et l’engagement et préfère voguer au
hasard des rencontres
«Je conçois les relations sentimentales comme quelque chose de
compliqué. Je trouve difficile d’évoluer à deux dans un monde
profondément égocentrique et j’ai la mauvaise habitude de partir en
courant dès qu’il est question d’engagement. J’aime avoir l’impression
d’être libre de mes mouvements et de pouvoir explorer le champ des
possibles sans restriction. Du point de vue relationnel, je suis pour
l’union libre. C’est une conception que je trouve plus réaliste et qui
correspond probablement mieux à l’ère actuelle.
Si j’entretiens volontiers l’instabilité chronique de ma vie
sentimentale, je ne suis pas un produit Tinder pour autant. Les sites de
rencontres et le virtuel, ce n’est pas mon truc. Je crois encore au
hasard des rencontres et au feeling du moment. Des rencontres qui ont
lieu plutôt au coin d’un bar que derrière un écran.
Je pense aussi que la routine me fait peur. Routine qui, dans mon
esprit, est indissociable de la figure du couple installé depuis
quelques années. Je vise quelque chose de plus «grand», sans y croire
véritablement. Cette ambivalence, voire cette schizophrénie dans les
idées caractérise, selon moi, les jeunes de ma génération. Nous sommes
désillusionnés mais incapables de renoncer aux contes de fées.
En parallèle, cette angoisse du train-train quotidien va de pair avec
mon incapacité à me projeter, dans tous les domaines. Un autre trait
commun à la génération Y, qui a tendance à ne pas voir trop loin pour
éviter les mauvaises surprises en chemin.»
Lexique
Asexuel: ne pas ressentir d’attraction sexuelle
envers autrui. Les asexuels peuvent être attirés par quelqu’un sur un
plan esthétique, mais pas sexuellement. D’autres auront envie de faire
preuve de tendresse sans qu’il y ait pour autant désir sexuel. Graysexuel: à mi-chemin entre la sexualité et de
l’asexualité, les graysexuels peuvent également s’identifier comme gay,
hétéro ou toute autre identité sexuelle. Lithromantique: personne qui éprouve des sentiments amoureux mais ne souhaite pas que ceux-ci soient réciproques. Pansexuel: être attiré sexuellement ou sentimentalement par une autre personne sans considération de son sexe. Queer: de l’anglais «bizarre», ce mot se comprend au
sens de la théorie queer. Elle critique principalement la notion de
genre et l’idée préconçue d’un déterminisme génétique de la préférence
sexuelle. Skoliosexuel: personne ressentant une attirance sexuelle, romantique et/ou spirituelle seulement envers les transsexuels
Sexe au féminin
Léa, 26 ans, l’amour physique sans limites
«Je
ne me pose jamais la question du masculin et du féminin, je considère
juste l’humain»: pour elle, la sexualité, à deux ou à plusieurs, peu
importe, elle fonctionne à l’intensité de la rencontre. Deuxième volet
de notre série
Expliquer vraiment, dans le détail, ce qui
plaît, déplaît, allume le désir ou éteint le feu: tel est l’objet de
notre série d’été cette semaine. Cinq Romandes de 17 à 67 ans se sont
prêtées au jeu du dévoilement, en évoquant leur vie amoureuse et leur
sexualité. Précédent épisode:Mathilde, 17 ans, la sexualité déjà sous contrôle
Elle est libre, Léa. Elle ne dit pas qu’elle
couche avec un homme ou une femme, mais qu’elle couche avec une
personne, question de sortir du clivage consacré. A 26 ans, cette
diplômée en études sociales privilégie la fulgurance d’un flash,
l’intensité d’un moment partagé, à deux ou à trois. Elle est libre, Léa,
et parler avec elle donne des ailes.
On a rendez-vous dans le
quartier genevois des Grottes, village urbain situé derrière la gare
Cornavin. Look «alterno», parole aiguisée, Léa semble avoir déjà un long
passé. Elle sourit. «J’ai pas mal voyagé, j’ai fait plein
d’expériences. Oui, dans un certain sens, j’ai déjà bien vécu.»
Qu’est-ce que le mot «sexualité» évoque pour elle? «Mon corps, des
instants, du partage, du plaisir.» La rencontre, sa loi et sa beauté.
«Chaque
fois que j’ai une nouvelle personne devant moi, je me demande comment
elle fonctionne. J’adore apprendre à connaître un être, que ce soit pour
une nuit, trois semaines ou six mois. J’ai une telle haine de la
posture autoritaire, paternaliste et dominante que je ne me pose jamais
la question du masculin et du féminin, je considère juste l’humain.
Quand je fais l’amour, c’est la même chose, la pénétration n’est pas
forcément une finalité. Je mets plutôt en avant le plaisir partagé.»
«La petite mort de mon enfance»
On demande à
cette native de Lausanne si cette grande liberté est un héritage
familial. «Oui et non. Ma mère travaille dans le spectacle, elle est
ouverte d’esprit, mais la sexualité n’a pas été plus que ça un sujet à
la maison. Ni à l’école d’ailleurs.» Retour à l’adolescence, justement.
Sa
première fois? «J’avais 16 ans, c’était avec un Genevois d’un an de
plus que moi. C’était aussi sa première fois. On s’est posé beaucoup de
questions. C’était un peu laborieux au début, puis c’est devenu plus
facile. On a opté pour la classique position du missionnaire, avec
beaucoup de tendresse. J’avais eu des occasions avant, mais je voulais
qu’il y ait de l’amour… Avec lui, ce fut le cas.»
Et le jour d’après? «Je ne sais pas si c’est parce que j’ai vu Into the Wild, le film de Sean Penn,
ce jour-là, mais je garde l’impression d’avoir vécu la petite mort de
mon enfance. La sensation d’une redescente, après l’euphorie d’être dans
un nouveau corps…»
Léa
la sensible. Léa l’aventurière. Depuis, la jeune femme a connu près de
30 partenaires. Autour des 23 ans, elle a été en couple durant un an et
demi, sinon, elle suit «le cours des rencontres». «Comme j’ai beaucoup
voyagé, j’ai fait des rencontres assez fortes. Des gens avec qui j’ai
parcouru un bout de chemin, puis chacun est allé de son côté.» Mais se
lier et se délier ainsi n’est-il pas douloureux? «Oui parfois, d’autant
plus que j’ai une grande facilité d’attachement. Mais je n’aime pas être
prudente. Quitte à souffrir. C’est peut-être le prix à payer pour un
moment intense.»
Le corps n’est pas dramatisé
A 14 ans,
Léa a connu sa première expérience homosexuelle avec sa meilleure amie.
«C’était exploratoire. On s’est fait un cunnilingus pour voir. C’était
bien, mais on n’a pas réédité et on est juste restées amies.» Plus tard,
vers 21 ans, Léa faisait partie d’un groupe de copines qui avaient
l’habitude de se rouler des patins lors des concerts, des festivals.
«Il
y avait de la musique, on avait le corps en fête et on célébrait!»
sourit la jeune fille. Avec l’une d’elles, Léa est allée plus loin: «On
prenait un bain toutes les deux et on a couché ensemble. On a eu
beaucoup de plaisir. Il y aurait eu moyen de prolonger, mais elle devait
partir…» Là encore, cet épisode n’a rien changé à leur amitié.
C’est
peut-être cet aspect qui frappe le plus dans le récit de Léa: le fait
que coucher, avec des filles, des garçons, ne change rien aux relations.
Le corps n’est pas dramatisé. Il est un endroit de plaisir, non de
contrat. «C’est vrai, c’est exactement ce qu’il se passe avec mon
meilleur ami. Lui et moi, on a des relations sexuelles, au même titre
qu’on boit un café, une bière. C’est un bon moment tous les deux, mais
sans agenda.»
Relation à trois, relation ouverte
Du coup,
les relations à trois ont le même parfum, à la fois fort et sans trauma.
«A 18 ans, je flirtais avec mon voisin de palier lorsqu’une amie s’est
pointée. On avait bien picolé, on était avachis sur le canapé. J’étais
assise au centre. Je l’ai embrassée elle, puis je l’ai embrassé lui. Et
on a commencé à se toucher. Ensuite, on a pris un bain. C’était très
doux, très bien. On a eu du plaisir, sans pénétration. Après, si je suis
bien avec la personne, je n’ai rien contre la sodomie. Ça dépend du
moment…»
Aujourd’hui, Léa vit une relation ouverte. Son amoureux
et elle, qui habitent dans la même maison, peuvent avoir des aventures
chacun de son côté. Ils le savent et ils en parlent, ou pas. La seule
contrainte, c’est de ne pas coucher avec quelqu’un de la colocation,
pour ne pas créer de tensions. «On fait tout un foin du couple, de
l’amour exclusif, du toi et moi, etc.
Or, ce n’est pas si bien. La
société doit se réinventer, trouver de nouvelles fluidités. Même pour
les enfants, j’aimerais être plus que deux. Je détesterais élever mes
enfants avec mon petit mari…» Léa en est convaincue et on peut être
séduit: en amour, comme dans la vie, le modèle communautaire a de beaux
jours devant lui! https://www.letemps.ch/societe/2017/08/08/lea-26-ans-lamour-physique-limites
Mathilde, 17 ans, la sexualité déjà sous contrôle
Comment
une gymnasienne vit-elle ses relations intimes? Elle adopte en tout cas
un franc-parler qui surprend. Début de notre nouvelle série
Expliquer vraiment, dans le détail, ce qui
plaît, déplaît, allume le désir ou éteint le feu: tel est l’objet de
notre série d’été cette semaine. Cinq Romandes de 17 à 67 ans se sont
prêtées au jeu du dévoilement, en évoquant leur vie amoureuse et leur
sexualité.
Mathilde est très jolie. Plus que ça. Avec
ses yeux de chat, sa taille fine et ses courbes voluptueuses,
l’adolescente accroche le regard. Elle le sait et en joue un peu. Mais
elle se protège aussi. Car cette Genevoise de 17 ans a déjà vécu une
histoire à l’épilogue désagréable: éconduit après une relation d’une
année et demie, son premier petit ami a raconté à tous ses camarades
d’école qu’elle était une «fille facile, parce qu’elle avait couché
après deux semaines». «Ce qu’il ne dit pas, précise l’intéressée, c’est
qu’on flirtait depuis quatre mois… Mais c’est ainsi, les garçons et les
filles de mon âge adorent cataloguer et critiquer.»
On parle beaucoup de sexe entre nous, les ados. Mais négativement
Aujourd’hui,
Mathilde a quitté cette filière scolaire qui ne lui plaisait pas. Elle
souhaiterait travailler avec les personnes âgées, activité qu’elle a
déjà expérimentée lors d’un stage. «J’ai adoré les petits vieux! Ils ont
tellement d’histoires à raconter. J’ai surtout aimé les pépés italiens,
parce qu’ils avaient toujours du plaisir à me voir et faisaient plein
de gags.»
On se rencontre sur une terrasse, lors d’une journée
torride. Mathilde est surprenante de décontraction. Quand elle détaille
ses expériences, elle claironne les termes précis sans se soucier des
oreilles qui traînent. «Je ne suce pas, sinon on dit de moi que je suis
une p…» Explication? «Les gars ont une grille de lecture très inspirée
des films pornos. Une fille qui fait une fellation est directement taxée
de salope.»
Autrement
dit, rien n’est secret? Chacun, chacune décrit au groupe ce qui s’est
passé dans l’intimité? «Oui et non. Pas tout le monde… C’est plutôt un
truc de mecs, pour se faire mousser auprès des potes. D’ailleurs, ils
inventent même des histoires, des exploits qui n’ont pas eu lieu.»
Comment
la sexualité est-elle considérée dans sa famille? «Mes parents sont
divorcés. Ma mère, enseignante, est très ouverte sur la question, on en
parle beaucoup. On parle de protection, mais aussi de plaisir et de
respect. Mon père est plus discret. Cela n’a jamais été un sujet
jusqu’au jour où il s’est mis en colère parce que, selon lui, j’étais
habillée comme une p… Parfois, j’ai l’impression qu’il est jaloux des
garçons que je rencontre, je ne sais pas… Et aussi, j’ai été très gênée
quand, devant mon frère âgé de 10 ans, mon père a parlé de sa nouvelle
copine qui était bi. J’ai trouvé ça déplacé.»
Sa première fois à 14 ans
Mathilde
a connu sa première expérience à 14 ans. Avec Steven, un garçon de sa
classe du même âge qu’elle, qui couchait aussi pour la première fois.
Ses souvenirs? «Je n’ai ressenti ni douleur ni plaisir. Steven n’a pas
éjaculé. D’ailleurs, pendant les dix-huit mois où l’on est restés
ensemble, il n’a jamais éjaculé.» Sait-elle pourquoi? «Non, pas
vraiment, peut-être qu’il était intimidé.» Lire également:L’illusoire liberté sexuelle des adolescents
Et
le plaisir, en a-t-elle éprouvé ensuite? «Oui, en faisant du
frotti-frotta avec lui, jamais par la pénétration.» Ce détail encore,
singulier: Mathilde, qui a eu un autre partenaire après Steven, n’a
jamais ôté son soutien-gorge pendant ses ébats: «Je n’aime pas mes
mamelons, je les trouve trop gros. Mais, récemment, je me suis mise nue
devant une amie quand on se changeait et je crois que je commence à les
accepter.»
Parmi ses rencontres amoureuses figure Clara, une amie
d’école. «On s’est juste embrassées, on n’a pas couché ensemble, je n’ai
pas osé, car je n’avais pas d’expérience avec une fille. On ne s’est
même pas caressées. Mais j’étais bien avec elle, notre histoire a duré
deux mois.» Mathilde se souvient que lorsqu’elle a commencé à se
masturber, vers 7-8 ans, elle pensait à des femmes. «Après, je ne dirais
pas que je suis homosexuelle comme Clara, qui a eu une histoire de cinq
ans avec une fille avant moi… Je continue à être plus excitée par les
garçons, même si je les trouve souvent très c…!»
«Le porno, tout le monde en regarde, personne n’assume»
Sa
liberté de parole surprend. On le lui dit. Elle sourit. «On parle
beaucoup de sexe entre nous, les ados. Mais négativement. On parle du
côté sale, on dit: «Ouais, il l’a baisée, c’est trop une p…, cette
meuf.» C’est nul, bien sûr, mais en même temps, il y a plein de filles
qui postent sur les réseaux des photos d’elles à poil dans le miroir ou
même de leur vagin… Je trouve qu’une fille, ça doit se respecter. Si tu
«ken» [couches] avec un gars sans en avoir envie, tu ne te respectes pas.»
Quid
du porno? En regarde-t-elle? Seule ou en groupe? «Bien sûr que je
regarde des films pornos. Seule, quand je me masturbe. Comme tout le
monde. Mais personne n’assume, surtout pas les filles. J’en ai parlé à
ma meilleure amie, elle s’y est mise cette année et elle aime bien. Le
seul truc triste, c’est l’image de la femme, toujours soumise, toujours
exploitée.» On lui parle du porno alternatif, tourné par des réalisatrices féministes qui font des femmes des sujets et non des objets. Intriguée, Mathilde promet qu’elle va «regarder ça de près».
Et l’amour alors?
Et
l’amour dans tout cela? Mathilde aimerait-elle une belle histoire
romantique, équilibrée? «Je dirais que je cherche plus le respect que
les sentiments, car j’ai besoin de contrôler l’autre. D’ailleurs, je
crois que je n’assumerais pas une histoire équilibrée, car je manque de
confiance en moi. Ça peut paraître fou, mais je me demande si une fois
j’arriverai à me lâcher tout à fait.»https://www.letemps.ch/societe/2017/08/06/mathilde-17-ans-sexualite-deja-controle
Vif émoi au Pakistan après le viol d'une adolescente sur autorisation du conseil des anciens du village
Le conseil des anciens du village a choisi cette sentence pour
venger le crime commis par le frère de l'adolescente. Dans cette région
reculée du Pakistan, la sentence a conduit les habitants à s'interroger
sur la validité de la justice traditionnelle.
L'assemblée de vieux "sages", également connue comme le panchayat, ou
la jirga, a ordonné à la mi-juillet à un homme de violer cette jeune
fille de 16 ans pour réparer l'outrage infligé à sa sœur, âgée de 12
ans.
"Que Dieu la prenne en pitié, quelle étrange journée et quelle énorme
injustice", résume Amina Bibi, une habitante de Raja Jam, en écho au
trouble qui s'est emparé de cette petite localité de 3.000 âmes depuis
le double viol.
"Dans notre région, on n'a ni école ni hôpital, la pauvreté et
l'ignorance règnent en maîtres... Cette incident porte la marque de
l'ignorance", renchérit Imtiaz Matila, 46 ans.
"C'est une tache sur le nom de ce panchayat," affirme un sexagénaire, Manzoor Hussain.
Depuis, les deux filles ont été emmenées dans un foyer pour femmes
ouvert cette année grâce à une législation progressiste adoptée en 2016
par la province, qui garantit de nouveaux droits et une meilleure
protection aux femmes.
Le foyer est situé à Multan, la cinquième ville du Pakistan, à
quelques kilomètres seulement de Raja Ram. Mais cette nouvelle loi et la
ville paraissent à mille lieues du village.
A Raja Jam, les hommes sont assis sur les charpoy, ces banquettes
traditionnelles de bois et de cordes tressées, cherchant à s'abriter de
la chaleur. Les femmes sont gommées du paysage, abritées des regards par
les murs de pierres qui enserrent chaque maison. 'Rien de plus déshonorant'
Dans les villages comme Raja Ram, les panchayat sont toujours
considérés comme le système de justice authentique alors que les cours
pakistanaises, largement calquées sur le système britannique, sont
perçues comme un ensemble exogène. "Du temps de nos ancêtres déjà nous
avions des conseils de villages", remarque Manzoor Hussain.
Les cours pakistanaises peuvent mettre des années à juger une affaire
criminelle, quand les conseils villageois règlent l'affaire
immédiatement. Mais ils sont récemment devenus l'objet de critiques en
raison de leurs décisions controversées concernant les femmes en
particulier.
"Tout repose sur l'honneur dans ce système, or il n'y a rien de plus
déshonorant pour une famille que le viol d'une fille", explique une
militante féministe, Aisha Sarwari. "Les hommes de la famille de
l'agresseur doivent donc subir le même déshonneur que celui des proches
de la victime". "C'est l'idée d'équité (ente victimes et bourreaux) dans
ces communautés, qui fait que les femmes se retrouvent à servir de
caution en quelque sorte", ajoute-t-elle.
Une jirga est restée dans les annales de l'infamie pour avoir ordonné
en 2002 le viol collectif d'une femme nommée Mukhtar Mai dont le frère
avait été, à tort, été accusé de viol. Mukhtar Mai, qui vit dans le
Pendjab (centre) à quelques heures au nord de Multan avait alors, de
façon très inhabituelle, décidé de poursuivre ses violeurs en justice.
Mais ces derniers avaient été exonérés et le recours aux panchayats a
continué dans la région, même si Mukhtar Mai est devenue une championne
du droit des femmes. La loi des Jirga
La Cour Suprême a essayé d'en finir avec ces assemblées
traditionnelles, déclarées illégales en 2006. Mais pour tenter
d'accélérer le rythme de la justice, le gouvernement est revenu sur
cette décision par une loi qui autorise de nouveau les jirga pour régler
des conflits de villages.
La "loi des jirga" comme l'appellent les féministes, a évidemment
suscité l'inquiétude compte tenu de leur passif. "Les décisions des
jirgas ont toujours un impact négatif sur la vie des femmes", estime une
militante du droit des femmes, Samar Minallah, qui s'était mobilisée
devant la Cour suprême en 2006 pour la loi anti-jirga.
Au moins, l'émoi suscité par la décision de Raja Ram a convaincu la justice de demander une enquête sur l'affaire.
Malgré son inquiétude, Samar Minallah compte sur cette affaire pour
"rappeler à l'Etat que ces jirgas vont à l'encontre de la Constitution
et de l'humanité".
Et quoi qu'il advienne, la confiance populaire dans le système
traditionnel a été ébranlée, tout au moins à Raja Ram. "Autrefois les
anciens savaient prendre de bonnes décisions", se souvient Matila. "Ils
connaissaient les réalités du village. Mais maintenant, avec ces
panchayat..."