Au regard d‘une “guerre économique“, ces préceptes se transcrivent assez aisément en ressources financières et humaines ; innovations technologiques ; management et gouvernance ; marketing, communication et déploiement commercial.
Il suffit seulement d‘y voir le bon sens caché derrière chaque action économique dont les résultats – bons ou mauvais – procèdent d‘un ensemble de facteurs engagés par une organisation pour atteindre un but.
Actifs invisibles : les aspects cachés recèlent souvent les plus grandes valeurs. Invisible ne veut pas dire inexistant…
1 – Le renseignement [intelligence] économique au service des affaires
Pour Sun Tzu, tout est dans la préparation, la coordination et la qualité des renseignements économiques recueillis : “Qui connaît l’autre et se connaît lui-même, peut livrer cent batailles sans jamais être en péril. Qui ne connaît pas l’autre mais se connaît lui-même, pour chaque victoire, connaîtra une défaite. Qui ne connaît ni l’autre ni lui-même, perdra inéluctablement toutes les batailles.“
Percevoir le concurrent identifié comme un ou ‘seul‘ adversaire peut s‘avérer trompeur quand d‘aucuns agît en méconnaissance des facteurs clés que sont : la doctrine (le modèle économique) , le temps (l‘agenda des actions) , l’espace (le secteur d‘activité et ses acteurs) , le commandement (le management) , la discipline (la coordination et la préparation).
Que ce soit sur le plan des affaires, de la diplomatie ou de l’influence, il s’agît ici surtout de mieux savoir pour mieux agir…
Quelques citations :
« Un prince avisé et un brillant capitaine sortent toujours victorieux de leurs campagnes et se couvrent d’une gloire qui éclipse leurs rivaux grâce à leur capacité de prévision. Or la prévision ne vient ni des esprits ni des dieux ; elle n’est pas tirée de l’analogie avec le passé pas plus qu’elle n’est le fruit des conjectures. Elle provient uniquement des renseignements obtenus auprès de ceux qui connaissent la situation de l’adversaire . »
« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux. »
« Tout le succès d’une opération réside dans sa préparation. »
« Qui connaît son ennemi comme il se connaît, en cent combats ne sera point défait. Qui se connaît mais ne connaît pas l’ennemi sera victorieux une fois sur deux. Que dire de ceux qui ne se connaissent pas plus que leurs ennemis ? »
« Connaissez l’ennemi et connaissez-vous vous-même ; en cent batailles vous ne courrez jamais aucun danger. »
« Si tu ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras tes combats que par tes défaites. »
« Sois subtil jusqu’à l’invisible; sois mystérieux jusqu’à l’inaudible; alors tu pourras maîtriser le destin de tes adversaires. »
« Une armée sans agents secrets est exactement comme un homme sans yeux ni oreilles. »
« Qui ignore les objectifs stratégiques des autres princes ne peut conclure d’alliance. »
« Impalpable et immatériel, l’expert ne laisse pas de trace ; mystérieux comme une divinité, il est inaudible. C’est ainsi qu’il met l’ennemi à sa merci. »
2 – Préparation et Protection [défense] des entreprises
La protection des entreprises consiste à préserver et sécuriser son patrimoine. Il s’agît ici non seulement de veiller à ses actifs matériels, mais surtout à identifier et comprendre l’ensemble de ses actifs immatériels dont la valeur financière ‘invisible’ représente jusqu’à 75 % de la richesse d’une entreprise.
Selon les différentes interprétations comptables internationales, le capital immatériel – aussi appelé ‘actifs intangibles’ – représente l’ensemble des actifs identifiables qui participent à la « rentabilité présente et future » de l’entreprise. Leurs valeurs restent pourtant ‘hors bilan’.
Aussi et selon la définition la plus acceptée en matière financière, le capital immatériel se décompose en trois catégories :
– Le Capital Humain : expérience, formation, gouvernance, management, relations interpersonnelles, motivation, etc.) ;
– Le Capital Structurel : la culture de l’entreprise, la communication interne, la sécurité de son patrimoine informationnel, l’organisation (management), l’innovation/ inventions, brevets, marques, franchises, licences et contrats, inventions, formules, processus, dessins, modèles et savoir faire, copyrights et droits d’auteur.
– Le Capital Relationnel , ou l’environnement d’affaires : les relations avec les actionnaires, les partenaires, les clients (fidélisation, ancienneté, solvabilité …), les fournisseurs (solvabilité, réputation, diversifications …), la société (réputation, influence, communication…).
La valeur globale d’une entreprise repose donc avant tout sur un savant dosage de ces différents types de ressources productives, mais aussi sur l’intelligence collective (émotionnelle) en place à les combiner, les développer et surtout les exploiter de manière opérationnelle.
Ainsi, comme on peut le voir, ce n’est pas nécessairement l’entreprise la plus riche en ressources qui l’emporte et qui dispose de la plus grande valeur…
Quelques citations :
« Lorsque le monde est en paix, un homme de bien garde son épée à son côté. »
« […] vaincre l’ennemi sans même se battre, voilà le fin du fin. »
« Le meilleur savoir-faire n’est pas de gagner cent victoires dans cent batailles, mais plutôt de vaincre l’ennemi sans combattre. »
« Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu’elles ne surviennent. »
Certains espaces vides le sont volontairement… Piège ou opportunité ?
3 – Diplomatie : La communication d’influence
Dans l’ouvrage “L’influence, le noble art de l’intelligence économique” paru en 2012 sous les plumes averties d’Alain Juillet et Bruno Racouchot, l’influence passe principalement par deux formes de communications :
« D’une part, une communication classique, ayant pour objet la diffusion de l’information vers des cibles extérieures, mais aussi en direction de ceux qui ont à la connaître en interne pour optimiser leurs actions. Envisagée sous l’angle sécurité, cette communication est aussi à visée pédagogique pour avertir des dangers potentiels, sensibiliser et apprendre à se protéger. »
Et d’autre part :
« il y a la communication active et offensive sous la forme de l’influence. On va utiliser les informations recueillies pour déstabiliser l’adversaire ou le faire aller dans la direction où l’on souhaite qu’il aille. Aussi surprenant que cela puisse paraître pour des esprits non-avertis, la communication est – et ce dès l’origine – consubstantielle à la démarche d’intelligence économique. Celle-ci, bien loin de s’enfermer dans une conception strictement sécuritaire, doit au contraire explorer les ressources offertes par la logique communicationnelle. Il est de son intérêt de le faire, sur un mode offensif, via la mise en œuvre de stratégies d’influence. »
Quelques citations :
« La grande science est de faire vouloir à autrui tout ce que vous voulez qu’il fasse, et de lui fournir, sans qu’il s’en aperçoive, tous les moyens de vous seconder. »
« Vous profiterez de la dissension qui surgit chez vos ennemis pour attirer les mécontents dans votre parti en ne leur ménageant ni les promesses, ni les dons, ni les récompenses. »
« Entretenez des liaisons secrètes avec ce qu’il y a de plus vicieux chez les ennemis ; servez-vous-en pour aller à vos fins, en leur joignant d’autres vicieux. »
« l’appât de la vengeance, celui des richesses ou des postes éminents que vous leur promettez, suffiront amplement pour les gagner. »
Expert d’état nominé* dans le renseignement économique et la lutte contre la fraude, Jérôme Gabriel a fait ses premières armes pour le Commerce extérieur français en tant que spécialiste Asie du sud-est. Aujourd'hui expert associé auprès d’un cabinet d’avocats d’affaires internationales en Suisse Romande, il apporte son expérience et ses certifications en matière d'intelligence économique et de sûreté économique au service de la «compliance» auprès d’institutions et intermédiaires financiers, avocats d’affaires et entreprises en Suisse. *Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice (Services 1er Ministre)
«La question clé aujourd’hui est vraiment le chômage des jeunes»
Trois économistes ont accepté
de venir débattre des grands thèmes qui feront l’actualité en 2016.
Retour de la croissance, politiques monétaires divergentes, risques
géopolitiques sont autant de sujets abordés par Marie Owens Thomsen,
Michel Juvet et François Savary
Le Temps: L’an dernier, Michel
Juvet, vous aviez annoncé que la chute du pétrole serait le sujet de
l’année. Il l’a été. Quel sera le grand sujet de l’année 2016?
Michel Juvet:
Probablement le changement de paradigme des banques centrales. Nous
avons d’un côté, la Réserve fédérale américaine (Fed), qui a entamé
mi-décembre sa hausse des taux d’intérêt et de l’autre, la Banque
centrale européenne (BCE), qui a rallongé son soutien à l’économie
(«QE», pour Quantitative Easing). Depuis plusieurs années, nous avions
des banques centrales alignées, toutes baissant leurs taux d’intérêt.
C’est un changement fort qui entraîne de nombreuses interrogations:
Comment vont réagir les marchés? Cela va-t-il provoquer des mouvements
brutaux ou non?
L’économie américaine était-elle prête pour ce changement de cap?
François Savary:
Je pense que la Fed ne va pas s’arrêter à une hausse de taux. Cela
étant dit, je ne suis pas persuadé que la croissance américaine accélère
énormément. Les stocks sont importants. Le consommateur est très
présent, mais on se retrouve avec une économie à deux vitesses:
l’économie interne, qui se porte bien, et l’économie d’exportation, qui
souffre du dollar fort, tout comme les investissements souffrent du
pétrole bas. Je vois mal l’économie américaine accélérer à partir des
niveaux actuels. MJ: La hausse des taux était
inscrite depuis des mois, mais ce qui n’a pas l’air d’être anticipé,
c’est l’inflation. Pas pour une raison fondamentale, mais mécanique. Il
va se produire en début d’année un effet de base avec les prix du
pétrole. Les marchés ne sont pas prêts à cela. Cela ne veut pas dire
qu’il y aura une forte inflation sur l’année, mais il pourrait y avoir
un petit choc. Marie Owens Thomsen: J’aimerais
souligner l’importance de la croissance potentielle. Souvent les esprits
évoluent plus lentement que les faits. Nous restons persuadés que la
croissance potentielle américaine se situe à 2,5%, voire à 3%, ce qui
était d’ailleurs le cas avant la crise. Sauf que depuis, nous avons eu
vu une destruction du capital par sous-investissement ainsi qu’à une
destruction de la main-d’œuvre (chômage et baisse de la participation au
marché du travail) si bien que la productivité de ces deux facteurs et
leur interaction n’ont pas été très bons dernièrement. Le CBO [ndlr,
bureau du Budget du Congrès américain] estime à 1,7% la croissance
potentielle aux Etats-Unis. En Europe, elle serait plus proche de 1%,
alors qu’elle était à 1,5% avant la crise. Cela change toute notre
appréciation des faits: l’économie américaine évolue en réalité en
dessus de son potentiel depuis plusieurs années. Tout ceci a aussi un
impact sur la façon dont on anticipe la hausse des taux. Or, en Europe,
les marchés n’anticipent pas de hausse avant 2020! Ce genre de décalage
dans les perceptions rendra le marché obligataire encore plus difficile
en 2016.
Les pays occidentaux, l’Europe, en particulier,
peuvent-ils vivre avec des potentiels de croissance aussi bas, avec le
chômage important à résorber?
MOT: C’est la
question clé. Ces taux de croissance faible ne sont pas une fatalité,
mais c’est difficile à rectifier, dans la mesure où les politiques
monétaires ont déjà été massivement utilisées et qu’il ne reste plus que
les réformes structurelles pour agir. C’est un vaste sujet, mais je
pense qu’il faut se concentrer sur les services, qui représentent 80%
des économies développées, contre 20% pour l’industrie. Dans le monde
dans son ensemble, ce taux est de 70%. Il faut libéraliser les services.
Là, on pourrait avoir un effet de palier énorme. C’est le secteur le
plus sclérosé, le plus réglementé et il est quatre fois plus important
que l’industrie. On peut espérer une avancée avec les nouveaux accords
de libre-échange transatlantique (TTIP) et transpacifique (TTP). FS:
1% de croissance en Europe n’est pas suffisant pour une autre raison:
la dette est tellement énorme qu’il faut croître plus rapidement. Les
Etats-Unis vont aussi se retrouver face à ce problème d’ici 2020. Il
faut donc des solutions pour relancer l’économie. Et les réformes
structurelles nécessaires n’ont pas encore été faites. Les services sont
une voie à suivre. J’ai des doutes sur la rapidité pour parvenir à leur
libéralisation. Ce qui est inquiétant c’est qu’il n’y a plus de
croissance depuis plusieurs années du commerce international. MJ: Si la Chine se stabilise, le commerce mondial se redressera. FS: Mais la Chine, vous croyez vraiment qu’elle va repartir? MJ:
Non. Et même si elle accélère à nouveau, ce ne sera pas la même
économie que ces dernières années, ni les mêmes exportations, etc. Le
commerce international constituera donc un soutien, mais pas pour les
mêmes acteurs que ces dernières années. FS: A moins de libéraliser les services… MOT: Ce d’autant que même fermé, le secteur des services est celui qui porte la croissance du commerce mondial.
Vous dites que la politique monétaire a été épuisée, pourtant la BCE a rallongé son programme de «QE».
FS:
Cela ne sert à rien du tout. Cinq personnes au conseil des gouverneurs
étaient d’ailleurs opposées. Mario Draghi a survendu son action pendant
des semaines et il s’est retrouvé, début décembre, confronté à la
nécessité de passer des paroles aux actes. Il n’y avait pas de raison
fondamentale qu’elle procède à cette intervention. Mario Draghi l’a dit
lui-même, la croissance va continuer au cours des prochains mois. Cela
ne veut pas dire qu’elle n’aurait pas dû le faire dans un mois ou deux. MOT:
Les fonds parqués dans ses coffres ont été déterminants pour l’action
de la BCE. Ils avaient augmenté de 20 à 175 milliards au cours des douze
derniers mois. L’idée de baisser le taux de dépôt était logique pour
que les banques utilisent cet argent. FS: Je
parlais surtout du «QE» comme d’une décision inutile. La demande de
crédit en Europe a redémarré fin 2014. C’est un mythe de croire que le
«QE» l’a relancé. C’était simplement un facteur de soutien
supplémentaire au crédit. Dans les conditions actuelles, il n’y avait
donc pas de raison d’annoncer une expansion du QE pour une durée de six
mois supplémentaires.
Les mesures des banques centrales aident-elles vraiment l’économie réelle, l’emploi?
MOT:
Je me répète, mais la question clé aujourd’hui à l’échelon planétaire
est vraiment le chômage des jeunes. C’est la variable qui n’a cessé de
se détériorer depuis 2008 avec de nouveaux records battus chaque année. MJ: En Europe d’accord, mais pas aux Etats-Unis!
MOT: Aux Etats-Unis, il y a eu une petite
amélioration, c’est vrai. Mais le chômage des jeunes reste là aussi
au-dessus de son niveau d’avant crise, autour de 16%. Les taux les plus
élevés, en Grèce, en Europe de l’Est ou au Moyen-Orient, atteignent 60%,
ce qui est tout simplement incroyable. Si seulement on arrivait à
intégrer tous ces jeunes dans le marché du travail, alors tous nos
problèmes se résorberaient. On verrait la problématique démographique
autrement, il y aurait davantage de croissance et de rentrées d’impôts
ce qui nous permettrait de rembourser nos dettes. Même la question du
terrorisme serait perçue différemment. MJ: Je ne m’aventurerais pas forcément sur ce terrain… MOT:
Le lien de causalité est certes très complexe, mais je reste convaincue
que le chômage des jeunes est un facteur indéniable d’exclusion. Si les
jeunes n’avaient pas de problème d’identité et de raison d’être, les
choses se passeraient peut-être autrement. Ce qui ne veut pas dire que
le problème disparaîtrait du jour au lendemain. Ayant grandi en Suède,
je ne suis pas une capitaliste pure et dure et je sais que l’État a son
rôle à jouer pour protéger les citoyens. Mais les chiffres ont changé et
les structures que l’on a mises en place hier, quand peu de gens
étaient exclus du marché du travail, ne fonctionnent plus aujourd’hui.
Que prônez-vous au juste?
MOT:
Il faut faire des réformes structurelles qui permettent d’intégrer les
jeunes au marché du travail. Prenez les salaires minimums par exemple.
Vouloir les augmenter peut sembler être une bonne idée. Or c’est une
mesure totalement anti-jeunes. Pourquoi un employeur souhaiterait-il
embaucher un jeune alors que, pour le même prix, il peut engager
quelqu’un avec plus d’expérience et par conséquent plus productif? FS:
Vous avez raison. Plus grave encore, en Espagne ou en Italie, des gens
sont au chômage depuis 6 ans. Des gens qui progressivement ne sont plus
en adéquation avec les offres d’emplois. Les conditions ont été créées
au fil des années pour que cela devienne un vrai problème structurel
auquel l’on ne pourra pas remédier du jour au lendemain, et certainement
pas en 2016. On va se retrouver avec une croissance contrainte par ce
phénomène. C’est l’effet lessiveuse: malgré le retour de la croissance,
les problèmes structurels de la dette ne vont qu’empirer en Europe. MJ:
En théorie, les taux d’intérêt négatifs devraient pourtant permettre de
réduire l’endettement. Le problème aujourd’hui c’est que les politiques
les considèrent comme un miracle permanent si bien qu’ils en oublient
totalement d’assainir leurs budgets ou de rembourser les dettes et
continuent d’emprunter à bas coût. FS: Si une
tension devait s’opérer sur les taux d’intérêt en 2016, et notamment sur
les taux à long terme, ce miracle pourrait très vite disparaître. MJ:
Oui, encore faut-il savoir dans quelle mesure un «choc» sur les taux
américains peut contaminer les taux européens. D’autant plus que la BCE
est encore là pour acheter massivement des obligations. FS:
Tout dépendra de ce que fera la Fed, va-t-elle s’arrêter à une seule
hausse ou, comme je le crois, va-t-elle augmenter ses taux de 1%
supplémentaire? Si tel devait être le cas, cela se ressentira aussi
partiellement sur la partie longue des taux en Europe. MJ: Si bien que la BCE devra agir… FS:
Ce qui poserait alors le problème du dollar. La revalorisation de ce
dernier, qui a gagné 25% en un an et demi face à l’ensemble des devises,
commence d’ailleurs déjà à énerver les Américains. MJ:
Pourtant cela fait partie du jeu normal de redistribution de la
croissance, même si ce n’est pas pour plaire aux politiques américains.
Mais au final, que peuvent-ils bien y faire? FS:
Comme dit l’adage: l’expansion économique ne meurt jamais d’elle-même,
sa mort survient toujours en raison d’une erreur politique. Or, la
divergence des politiques monétaires rend d’autant plus probable une
telle erreur. Celle-ci pourrait venir, par exemple, des changes et de la
Chine. Imaginez que cette dernière décide de laisser sa monnaie se
déprécier de manière significative… MJ: Ce serait
là le scénario catastrophe, notamment pour les pays émergents. Ceux-ci
représentent d’ailleurs un deuxième sujet d’importance pour 2016.
Sommes-nous au bout de la correction? Je pense que oui. Les évaluations
sont bon marché, mais il est difficile de dire à quel moment ces marchés
vont repartir. Pour cela, il faut que la croissance mondiale
s’accélère. Ce sera probablement le cas: l’Amérique va continuer sur sa
lancée, grâce au consommateur, ce qui va tirer la croissance mondiale.
Il faudra aussi que la Chine se stabilise, ce qui, à mon avis, se
produira. C’est l’enjeu, en terme de sélection pour l’investissement.
Car les potentiels de gain sont immenses. Pour en revenir aux risques politiques, comment les
introduisez-vous dans vos réflexions? La montée des extrêmes, par
exemple, vous inquiète-t-elle? MJ: Il y a beaucoup d’échéances politiques
très importantes ces deux prochaines années, que ce soit les élections
présidentielles aux Etats-Unis ou en France, voire même l’éventualité
d’un «Brexit». Une chose est sûre aujourd’hui, les variables
géopolitiques ne confèrent plus une certaine stabilité comme c’était le
cas dans le passé. Mais attention: nous ne sommes pas non plus dans une
dérive protectionniste exacerbée.
FS: Ce qui se passe en Europe n’est évidemment
pas bon. Les économies de marché ont toujours eu besoin d’un certain
cadre de sécurité pour se développer, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Or, la remise en cause des accords de Schengen représente non seulement
un frein à la liberté mais également une limite à la croissance. Le
vrai danger n’est toutefois pas à chercher dans les échéances politiques
au sein de pays démocratiques mais plutôt dans les systèmes qui ne
connaissent pas d’élections. Je pense à la Chine où Xi Jinping est en
train d’éliminer un par un ses adversaires et de concentrer tous les
pouvoirs. Je pense aussi à l’Arabie Saoudite où, pour la première fois
en 2015, un roi issu de la famille Saoud a décidé d’imposer son fils
comme héritier direct au trône. Si l’on ajoute à cela la guerre au
Yémen, dans laquelle le pays est empêtré, et la chute du prix du baril,
on peut s’attendre à l’irruption de problèmes sociaux en Arabie
Saoudite. MOT: Après les déficits fiscaux, on
parle depuis plusieurs années des déficits politiques. Le problème vient
des leaders d’aujourd’hui qui ne sont pas prêts à prendre les mesures
qui s’imposent pour augmenter la croissance potentielle. Comme le dit
Jean-Claude Juncker, si tout le monde sait ce qu’il faut faire, personne
ne sait comment se faire réélire en le faisant. Les taux négatifs sont
la meilleure démonstration de cette politique des lâches. On préfère
agir en catimini, en espérant que le moins de monde ne s’en aperçoive,
plutôt que de dire officiellement que toutes les épargnes sont taxées de
X%. FS: Cette politique est d’autant plus lâche
qu’elle est le fait de personnes qui savent très bien qu’un jour il
faudra faire défaut sur la dette, notamment européenne. Nous sommes
simplement en train d’essayer de retarder le plus possible ce moment. MJ:
Je ne suis pas convaincu que les taux négatifs soient la résultante de
la paresse politique. Car si l’on avait eu des politiques qui avaient
pris des mesures plus fortes encore, ils auraient fait quoi en fin de
compte? Ils auraient très certainement pris des mesures qui auraient
créé davantage de déflation – puisqu’il aurait fallu réduire
l’endettement et les déficits budgétaires – et donc des mesures qui
auraient nécessité une politique monétaire plus agressive encore en
termes de taux négatifs. MOT: Le contexte actuel
est absolument extraordinaire. C’est ce que j’appelle la «transflation»,
soit une transformation de l’économie qui permet une coexistence des
taux d’inflation très bas, voire négatifs, avec un cycle économique
positif. La dernière fois que l’on a connu pareille situation c’était à
la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis avec une déflation de 5% et un taux
de croissance de 7% en moyenne. Le problème c’est que notre souvenir
émotionnel collectif s’arrête à 1930 et que, du coup, on associe
aujourd’hui obligatoirement déflation à dépression. C’est un problème
pour les banques centrales qui ont des objectifs d’inflation à 2%, y
compris quand l’inflation réelle est inférieure à ce niveau. Or cette
politique devrait être indéfendable puisqu’elle consiste à vouloir
diminuer les revenus réels des ménages. Pensez-vous que l’on a fait trop de cas du risque déflationniste? MOT: La déflation actuelle n’est pas
conjoncturelle puisqu’elle s’accompagne d’une croissance de l’économie.
Elle est donc structurelle et a trois causes principales: la
consommation sur Internet qui accroît la pression sur les prix,
l’émergence du gaz et du pétrole de schiste qui a conduit à une baisse
du prix de l’énergie et, enfin, un bond de la productivité dans le
secteur agricole (on devrait même connaître cette année une baisse
record des prix alimentaires). Or, une fois encore, ce sont les seuls
prix des services qui continuent à augmenter. Cela restera le cas tant
que l’on n’aura pas libéralisé ce secteur. MJ: Il
existe quand même un risque énorme lié à la déflation, surtout pour les
économies ouvertes: celui de voir les entreprises quitter le pays. Et
donc détruire de l’emploi. Pour l’instant la Suisse a eu la chance d’y
échapper, mais on ne sait pas comment évoluera le marché du travail en
2016. FS: Pensez-vous vraiment que les PME
suisses ont intérêt à s’installer en Chine alors qu’elles bénéficient
ici d’un terreau fertile pour leurs activités? MJ:
Vous avez raison, les délocalisations ne sont pas l’unique solution et
il est complexe pour une petite entreprise de partir à l’étranger. N’en
demeure pas moins qu’une entreprise ne peut pas rester à rien faire.
Elle va donc devoir investir dans l’innovation ce qui, à court terme,
est aussi destructeur d’emplois. C’est donc un élément déflationniste
négatif pour l’économie. FS: Si vous arrivez à
éviter la délocalisation alors vous pouvez trouver des solutions
politiques, des conditions-cadres qui facilitent la transition. Même si
cela engendre du chômage partiel.
MJ: La baisse du taux d’imposition des
entreprises est à ce titre une mesure qui permet de répondre
positivement à la menace de délocalisation. C’est d’ailleurs pourquoi je
reste convaincu que la Suisse a une chance de bien s’en sortir, elle
sait se montrer innovante et intelligente au bon moment. MOT:
Elle peut également compter sur de superbes institutions transparentes
et une main-d’œuvre extrêmement qualifiée. La Suisse figure également
parmi les pays ayant un surplus important sur le compte courant, comme
l’Allemagne et la Chine d’ailleurs. Afficher un surplus témoigne de la
compétitivité du pays. En outre, le sien est alimenté en grande partie
par des profits rapatriés des entreprises suisses à l’étranger – fruits
de la «délocalisation». Investir à l’étranger représente une stratégie
de croissance pour des petits pays comme la Suisse. FS:
Oui, mais il ne faudrait pas non plus se retrouver avec des entreprises
qui ne produisent qu’à l’étranger. La Suisse reste un pays très
industriel et il faut veiller à maintenir ce tissu industriel. MOT: Personnellement je n’ai pas l’impression qu’il soit vraiment menacé. MJ:
Il n’y a pas eu beaucoup de délocalisations, c’est vrai. La suite
logique pour les entreprises, afin de rester concurrentielle, est
toutefois soit d’investir, soit de faire baisser les salaires. Si bien
qu’en fin de compte, ce sera de toute manière mauvais pour l’emploi et
déflationniste. MOT: J’aimerais revenir sur le
franc fort. On parle toujours des entreprises qui ont été pénalisées par
la fin du taux plancher mais jamais de celles, nombreuses, qui
importent et qui ont pu bénéficier, du jour au lendemain, d’un rabais de
20%. MJ: Pour un patron de PME, qu’il importe
beaucoup ou non, la hausse du franc a représenté un sacré problème de
compétitivité. Il suffit de regarder les statistiques des exportations
suisses, qui n’ont fait que baisser depuis janvier 2015, pour s’en
convaincre. MOT: Je n’ai pas dit que c’était
positif pour tout le monde. Je voulais simplement rappeler que dans
l’économie il y a toujours des va-et-vient, que le franc fort pouvait
aussi être un avantage. FS: Ceux qui, en janvier,
ont critiqué la BNS avaient peut-être oublié que la Suisse restait l’un
des pays les plus productifs au monde. Le pays a indéniablement connu
un choc négatif avec l’abandon du taux plancher. Depuis 20 ans, il a
cependant fait un énorme travail pour être en tête des classements de
compétitivité. La question aujourd’hui est de savoir comment il est
possible de maintenir cette compétitivité en évitant, par exemple, de
recourir à des baisses de salaires inutiles. Il faut réfléchir aux
conditions-cadres, à l’innovation. MJ: On peut
aussi se demander pourquoi les cantons et la Confédération, certes
endettés, ne profiteraient pas des taux négatifs pour emprunter sur une
courte période afin de financer des projets d’infrastructures qui
permettraient, justement, d’améliorer les conditions-cadres. FS:
Oui, on pourrait tout à fait imaginer le lancement d’un fonds
structurel pour l’investissement et l’innovation avec non seulement
l’argent de la Confédération et des cantons, financés par l’emprunt,
mais aussi une partie de l’argent de la BNS. Un fonds qui aurait un but
bien précis et une durée de vie déterminée, un peu comme le plan Juncker
en Europe. Le franc va-t-il s’affaiblir l’année prochaine? FS: Je pense, oui. Pour moi l’opération de
la BNS, qui a pris une décision douloureuse, aura été un succès.
Contrairement à beaucoup de banquiers centraux, qui s’expriment de façon
excessive, je trouve que Thomas Jordan martèle le message de la
surévaluation du franc de manière intelligente. MJ:
Je ne suis pas d’accord sur la méthode de communication. Plutôt que de
marteler que le franc est surévalué contre l’euro, la BNS devrait
changer son logiciel de pensée et communiquer sur la valeur du franc
contre un ensemble de monnaies. Car le franc n’est pas surévalué contre
le dollar par exemple. Ceci dit, il n’y aucune raison aujourd’hui de
voir le franc s’apprécier en 2016 contre l’euro; l’Europe est malgré
tout en train de sortir de la crise et les écarts de rendement entre
l’euro et le franc ne sont pas du tout en faveur de ce dernier. FS:
Certes la situation conjoncturelle de l’Europe s’améliore, mais je ne
suis pas convaincu que ce soit le cas de la situation structurelle. Or,
une résurgence de crise pourrait tout à fait intervenir et créer un
effet de panique. MJ: Je n’y crois pas, en tout cas pas tant que la BCE se dira prête à intervenir massivement si besoin. FS:
Des problèmes demeurent, l’Italie a dû créer une «bad bank» huit ans
après la crise avec 300 milliards de dettes douteuses qui demeurent, la
réduction de la dette grecque n’est toujours pas réglée mais inévitable
et le Portugal a un gouvernement dont on peut douter de la longévité. MJ:
La dette grecque appartient désormais à la BCE qui finira par absorber
les pertes. Quant aux Portugais, ils disent aussi qu’ils ne veulent pas
quitter la zone euro, comme les Grecs. MOT: Je ne
prévois pas non plus que le franc s’apprécie face à l’euro en 2016. Par
contre, il convient de rappeler que la tendance fondamentale parle en
faveur d’une appréciation du franc. Un franc moins fort en 2016, ce sera donc le mot de la fin? MJ: Un instant. J’aimerais juste revenir
sur la Chine du côté de laquelle il y aussi des éléments positifs à
souligner. Des mesures très importantes, décidées durant le dernier
plénum du parti communiste, vont être mises en œuvre tout au long de
l’année 2016. L’ensemble de la population va ainsi être soumise à une
couverture sociale ce qui va permettre aux Chinois de réduire leur
épargne et de consommer davantage. Les paysans vont quant à eux bientôt
pouvoir vendre leurs terres ce qui devrait permettre d’augmenter la
productivité agricole. Enfin la Chine, où les taux d’intérêt sont encore
élevés, dispose de tout un arsenal de mesures monétaires que les pays
occidentaux n’ont plus aujourd’hui. On ne peut pas dire que l’économie
chinoise va droit dans un mur. FS: Pour la Chine
la question qui se pose aujourd’hui n’est pas une question de court
terme. Elle peut en effet utiliser ses milliards de réserve en tout
temps. Le problème en revanche, c’est comment peut-elle organiser, dans
les structures actuelles du pays, une transition mammouth qui s’impose
et au cours de laquelle bien des erreurs pourraient intervenir.
L’endettement actuel représente 270% du PIB, personne ne sait
véritablement ce que représente l’ensemble des crédits douteux dans
l’économie chinoise et l’état de son secteur immobilier reste une grande
inconnue. Des problèmes que cette économie va devoir gérer au cours des
cinq prochaines années. MJ: La Chine reste un enjeu majeur pour l’économie mondiale, nous sommes d’accords. MOT:
Il ne faut pas se focaliser sur le seul taux de croissance. Un exemple:
quand la Chine avait un taux de croissance de 15% au début des années
1990, elle contribuait à hauteur de 1 point de pourcentage au PIB
mondial. Aujourd’hui, avec un taux de croissance réduit de moitié, elle y
contribue à hauteur de 1,2 point de pourcentage. Cela s’explique par le
fait qu’entre-temps la taille de son économie a plus que doublé. MJ: Un demi-pour-cent de croissance supplémentaire aux Etats-Unis compense toujours un pour-cent de moins en Chine. FS:
Exactement. Et c’est pour cela que, finalement, le principal risque
pour l’économie mondiale en 2016 n’est autre que le consommateur
américain.
Il fallait quelques notes de l’esprit pour panser la colère qui
m’habite. Celle que font se lever les égoïsmes, les dénis aux droits
humains et à la justice qui ont émaillé 2015.
À la lueur d’une luciole
Est-ce le temps exceptionnellement
doux et ensoleillé ? Les traces encore vives de tous les événements
sombres et douloureux qui ont blessé 2015 ? Ce qu’on appelle - plus par
habitude que par conviction, sans doute - la "magie de Noël" s’est
faite, me semble-t-il, un peu plus grave cette année. Joyeuse, certes,
mais avec une certaine retenue, comme s’il devenait décidément
impossible de faire "comme si". Comme si nous étions éternels. Comme si
la planète ressemblait au jardin d’Eden. Comme s’il suffisait d’envoyer
des vœux pour qu’ils se réalisent. Oui, cette année, la magie a fait
davantage place à l’esprit - et c’est une belle chose.
La messe de Noël télévisée a été retransmise depuis une
prison, sans apparat ni sans grandes orgues. Des mots simples,
fraternels, le gospel extraordinaire de Dyna B, une assemblée où
prisonniers, visiteurs et gardiens, côte à côte, célébraient la dignité
de toute personne : face à cette leçon d’humanité, que valent,
dites-moi, les rodomontades sécuritaires ? En ce jour de Noël, c’est en
ce lieu de mépris et d’abandon, véritable honte pour notre démocratie,
que l’on pouvait approcher ce que les croyants appellent le salut :
cette affirmation inouïe qu’il est bon que chaque être humain existe,
quel qu’il soit et quel que soit son chemin de vie. Avoir fait le choix
de ce lieu proche et ignoré pour une retransmission d’ampleur, cela est
courageux, cela est beau.
Autre image : celle du Roi s’adressant à la jeunesse, à toute la jeunesse, multiculturelle, multiconfessionnelle. "Vous
qui avez un désir profond de croire dans la vie, de croire en vous-même
et de croire en l’autre, cultivez cet idéal et investissez votre
énergie et vos talents dans tout ce qui rassemble." Qu’est-ce qu’il
fait du bien, cet acte de foi en la générosité et la créativité des
jeunes ! Car enfin, au quotidien, ils peuvent avoir l’impression que
leur voix compte pour du beurre, que face aux innombrables défis qui se
profilent, ils sont quantité négligeable - alors même que c’est eux qui,
dans quelques années et pour l’avenir, seront en charge de relever ces
défis, dans un monde dont absolument personne (sauf quelques "experts"
autoproclamés) ne peut imaginer ce qu’il sera. Faire le choix d’espérer
en la jeunesse, cela aussi est courageux et beau.
Il fallait bien cela pour panser quelque peu une colère qui m’habite,
que nous sommes sans doute nombreux à héberger. Celle que font se lever
tous les égoïsmes, tous les dénis aux droits humains et à la justice
qui ont émaillé l’année passée. Passé le temps des émotions, des défilés
consensuels et des grands-messes pour la planète. Comment ne pas
rentrer dans son cocon, en rester aux belles paroles et aux vœux qui ne
coûtent rien ? Parce que si les investissements (nous le rappelle-t-on
assez !) sont nécessaires, encore faut-il savoir… en quoi et en qui l’on
investit !
C’est, ici encore, une question de choix. Ainsi, miser sur la
jeunesse, cela a du sens. Mais au moment où neuf milliards d’euros
seront libérés pour acheter avions, frégates et autres drones, tel
mouvement de jeunesse, qui avait sollicité un subside de… 30 000 € afin
de développer des projets à Bruxelles en milieu fragilisé, s’entend
répondre que "ce n’est pas possible, parce qu’il n’y a pas d’argent".
Cherchez l’erreur… On peut certes saluer la générosité - et elle est
grande ! - des citoyens qui accueillent, soignent, défendent les
réfugiés; qui récoltent des dons pour les 25 % d’enfants qui, dans notre
pays, vivent dans la grande pauvreté; qui visitent les prisonniers et
font vivre la culture. Dans le même temps, les CPAS, le personnel des
prisons, les enseignants, les artistes n’en peuvent plus de gérer
l’impossible austérité. Cherchez l’erreur… Et au moment où l’on se
congratule de l’accord finalisé à la COP21, le prix du diesel passe sous
la barre d’un euro. Cherchez l’erreur…
Alors, si je n’avais qu’un vœu, un seul, à formuler, ce serait
celui-ci : que soient, partout et toujours, privilégiés les choix qui
misent sur l’avenir, qui misent sur ce qui permet à tout humain et à
tous les humains de vivre une vie digne et juste, une vie sauve. C’est
le pari de l’espérance. Il est, si nous le voulons, à notre portée,
chacune, chacun et tous ensemble.
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