Edito: une victoire du populisme inimaginable et honteuse
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Il a toujours dit qu’il gagnerait et
personne ne le prenait vraiment au sérieux - même pas lui probablement -
tellement il semblait que "Président Donald Trump" était une
contradiction dans les termes.
Pour toute personne raisonnablement
confiante dans le bon sens de ses semblables, il paraissait impensable,
en effet, qu’un homme puisse s’élever jusqu’à la fonction politique la
plus prestigieuse et la plus exigeante du monde par la seule force de
l’ignorance et de la vulgarité. C’est pourtant le choix stupéfiant qu’a
fait une majorité d’Américains.
Hillary Clinton, qui avait gagné haut la main les trois
débats télévisés de la campagne présidentielle, a perdu le combat qui
aurait fait d’elle la première femme à entrer à la Maison-Blanche. Cette
nouvelle page d’Histoire, après l’élection, huit ans plus tôt, d’un
président noir, l’Amérique n’est donc toujours pas prête à l’écrire,
préférant plutôt couronner un candidat raciste et sexiste, qui ne prit
jamais la peine d’exposer en détail les politiques qu’il comptait mener,
qui ne fit campagne qu’à coups de slogans simplistes et de promesses
énormes, qui s’exprima avec un vocabulaire riche seulement en gros mots.Si Donald Trump succède à Barack Obama, il le doit à des femmes qui ont voté pour lui en dépit du traitement dégradant qu’il s’est flatté de leur réserver. A des chrétiens qui ont voté pour lui en dépit de son plaisir à fouler au pied leurs valeurs les plus chères. A des Républicains qui ont voté pour lui en dépit du fait qu’ils avaient le plus grand mal à le tenir pour un des leurs (les ténors du parti avaient déserté la Convention nationale, publiquement désavoué le candidat, et refusé de faire campagne pour lui…).
L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche plonge le monde dans l’incertitude et l’inquiétude. Le candidat s’est juré de remettre en cause aussi bien les traités commerciaux qui lient les Etats-Unis que les alliances politiques et militaires dont ils sont le pilier. Il s’est flatté d’avoir des solutions simples à des problèmes extraordinairement complexes, qu’il s’agisse de combattre le terrorisme ou de résoudre les contentieux nucléaires avec l’Iran ou la Corée du Nord. Quand on se rappelle ce que’un George W. Bush, autrement plus qualifié, fit au Moyen-Orient, on tremble.
L’élection de Donald Trump confrontera aussi l’Amérique à d’incroyables difficultés. Seul candidat républicain à n’avoir pas joui du soutien du monde des affaires, le milliardaire au parcours douteux s’est proposé d’introduire des réformes dont les experts craignent qu’elles produisent une nouvelle récession.
Le déroulement de cette élection présidentielle et son invraisemblable dénouement portent enfin un coup très dur à la démocratie, aux Etats-Unis bien sûr, mais aussi en général. S’ajoutant aux succès du populisme enregistrés ces dernières années en Europe, le triomphe d’un homme comme Donald Trump est malheureusement susceptible de convaincre des segments de plus en plus larges de la population, parmi les jeunes en particulier, que, si le mensonge et le culot suffisent pour élire un président des Etats-Unis, ils peuvent tout aussi bien être la clé de leur propre réussite.
http://www.lalibre.be/debats/edito/edito-une-victoire-du-populisme-inimaginable-et-honteuse-5822d407cd70958a9d5eecd6
"Trump va inspirer les populismes en Europe"
Publié le - Mis à jour le"Donald Trump a fait sauter toute une série de verrous. Il a tenu des propos homophobes, il a eu un discours contre les migrants, il a insulté les handicapés...", énumère Sebastian Santander, professeur en sciences politiques à l'université de Liège. "Sur les réseaux sociaux, cela a une conséquence directe : les gens se lâchent de plus en plus aux Etats-Unis. Je pense que certains partis européens d'extrême droite pourraient surfer sur la vague. Ils vont se dire : si ça a marché pour lui, pourquoi ça ne marcherait pas pour nous ?"
En France, Marine Le Pen a déjà salué la victoire du Républicain. "Quelqu'un comme Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, s'est aussi prononcé ouvertement en faveur de Donald Trump", ajoute le professeur de l'Ulg.
La Belgique va-t-elle devoir revoir sa politique de défense ?
En Belgique aussi, une victoire de Donald Trump risque d'avoir des conséquences. En premier lieu sur notre politique en matière de défense. "Trump a déjà menacé de se retirer de l'OTAN, reprend M. Santander. Il reproche aux états européens de ne pas consacrer 2% de leur PIB à la politique de défense. En clair : si à la première réunion de l'OTAN Trump tape du poing sur la table, il faudra peut-être revoir notre position en matière de défense."
Car si Trump venait à mettre ses menaces à exécution, l'Europe se retrouverait à découvert par rapport à la Russie. "Trump est d'ailleurs pour une alliance plus étroite avec les Russes. Il ne veut pas la confrontation. Cela pourrait constituer une menace pour les pays baltes, à la frontière desquels la Russie multiplie les manoeuvres militaires."
Sur le plan économique, il faut aussi s'attendre à du changement. Le Républicain est d'abord contre le TTIP. "Donald Trump tient un discours anti-mondialisation. Quand on sait que les échanges entre l'Europe et les Etats-Unis représentent 2 milliards de dollars chaque jour, cette vision risque d'avoir des répercussions Mais ce sera aussi le cas pour les Etats-Unis, si Trump vient à sanctionner ses principaux partenaires économiques que sont le Mexique, la Chine, le Canada et l'Europe... Car 30% du PIB américain dépend du commerce international."
Trump n'aura pas tous les pouvoirs
Pour le professeur Santander, il faut cependant rester prudent. Premièrement parce qu'il y souvent une différence entre les arguments de campagne et les actes. Deuxièmement parce que, même s'il est présenté comme l'homme le plus puissant du monde, le président américain n'a pas tous les pouvoirs.
"Tous les Républicains ne suivent pas Donald Trump. Et le président doit tenir compte du Congrès. Or, les Etats-Unis ne fonctionnent pas comme la Belgique où il existe des logiques de partis. Là-bas, chacun vote selon ses sensibilités. Il y aura donc des garde-fous. Trump ne fera pas ce qu'il veut"
Et quand on sait que le programme économique de Trump va à l'encontre du libéralisme prôné par le parti républicain, toutes les propositions du président ne passeront pas comme une lettre à la poste.
http://www.lalibre.be/actu/usa-2016/trump-va-inspirer-les-populismes-en-europe-
5822ca78cd70fb896a6724c0
Le populisme guidant le peuple ?
Publié le - Mis à jour leOpinions Pour comprendre l’ascension de Donald Trump, on se focalise sur le populisme. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce l’incarnation de la démocratie ? Ou une colère aveugle ? Chemins de traverse.
Faut-il pardonner à la catastrophe qui
brûle une forêt ou inonde nos récoltes ? En posant la question, Boris
Cyrulnik précise d’emblée que la haine est fatalement inappropriée
envers un phénomène de la nature, qu’il faut juste s’en méfier, s’en
préserver, mais d’abord le comprendre. Donald Trump est un accident
politique qui deviendra une catastrophe s’il est élu Président. Pour
comprendre son ascension, on se focalise beaucoup sur le populisme.
Attardons-nous sur ce mot.
S’il recouvre l’expression la plus large du peuple, il est
alors - hélas diront certains - l’incarnation de la démocratie.
Laquelle, garante des libertés et de l’Etat de droit, autorise aussi
l’expression de son contraire, pour autant qu’il y ait le contrepoids
d’une Constitution protectrice. Reste que c’est une trop bonne fille qui
ne rejette personne et laisse ses prédateurs abuser d’elle, voire la
violer, ou pire encore tenter de la tuer. Peut-on alors asséner qu’une
majorité des gens se trompent gravement ? C’est tentant, mais au nom de
quelle supériorité morale ou intellectuelle ? Faut-il mépriser les peu
instruits, les non-diplômés qui votent Trump, donc "mal" ? Dans un
entretien avec Pierre Nora, et reparu en livret après son récent décès,
Alain Decaux refuse cette ségrégation sociale : " J’ai toujours été
frappé, lorsque j’étais invité à des débats dans des usines par exemple,
par la qualité du public et l’intérêt des questions posées. Cela ne
vole pas bas du tout, et ceci chez les gens les plus simples. "
Alors pourquoi cette sorte de crispation collective alors que les
problèmes à régler n’ont jamais été si vastes, complexes et cruciaux ?Peut-être parce qu’ils le sont, justement ! Et que nous surestimons la capacité du pouvoir à exercer le… pouvoir, à peser sur les événements et les structures économiques. Les ouvriers du Hainaut en font l’amère expérience : le pouvoir économique et son arrogance triomphante, quoique souvent aveugle, pèse davantage que les gouvernements. Tout comme le poids de l’Histoire des pays de l’Union européenne qui entrave à présent sa crédibilité dans le désenchantement. Régis Debray parle du " dernier mythe idéaliste des survivants de la guerre de 1939-1945 " .
Le populisme, on le retrouve dans le film de Claude Berri tiré du diptyque de Pagnol : "L’eau des collines". Un village meurt de sécheresse. Le Conseil municipal invite un géologue de la ville à donner son avis. Il s’enfonce alors dans des méandres hydrauliques que nul ne saisit et rapidement tous ont les nerfs à vif. Ils veulent que le technicien soit un sorcier faisant rejaillir l’eau, et basta ! Quand il conclut qu’il faut être raisonnable et se contenter d’un rationnement par camion-citerne, voire carrément - sacrilège ! - quitter le village, c’est l’émeute : il doit fuir. Déboule alors un berger vociférant : " Mon eau, mon eau ! " Le maire lui dit que venu à temps, il aurait pu entendre les explications… dont il n’a cure. En panique, brandissant son bordereau, il hurle : " J’ai payé pour mon eau, je veux mon eau ! " Il lève son bâton, tente de frapper le maire qui veut le calmer, mais le coup pulvérise le buste de Marianne. Symboliquement, c’est la République qu’il assassine. C’est peut-être cela le populisme : une colère aveugle face à des frustrations aggravées par un déficit démocratique.
Axel Kahn, généticien, médecin, et randonneur a visité la France "réelle" lors de rudes traversées, et écouté des milliers de gens afin d’identifier les racines d’un malaise qu’il perçoit dans " le sentiment de dépossession ressenti par des gens qui pensent avoir perdu la maîtrise de leur avenir, en assimilant les incessants changements à la manifestation d’une insupportable dégradation d’un passé certes phantasmé mais qui les bloque et rend amers. Il faut pouvoir comprendre les ressorts de ce mal-être, et proposer avec talent un avenir désirable, accueillant pour leurs enfants, dans la construction duquel ils auraient envie de s’engager" (2).
Croire encore en l’avenir ? Le rendez-vous français est pour 2017. L’échéance U.S. est proche. Puissent les Américains rejeter le choix qui aggraverait tout !
(1) xavier.zeegers@skynet.be
(2) Pensées en chemin, Livre de poche 33698.
http://www.lalibre.be/debats/opinions/le-populisme-guidant-le-peuple-57dab59335704b54e6c32d26
Citoyennes, féministes et musulmanes
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Opinions
Une opinion d'un collectif de citoyennes musulmanes(1).
En Belgique, les mesures en vue de refouler hors de la vie sociale les musulmanes portant le foulard se multiplient. Ne nous contraignez pas au repli communautaire, devenons des alliés. Nous sommes des femmes qui vivons et agissons en Belgique. Nos pays d’origine, nos profils, engagements et centres d’intérêt sont très divers, mais les images que l’on produit de nous nous réduisent à une seule facette de notre identité dans laquelle on nous enferme : nous sommes musulmanes. Certaines d’entre nous se couvrent la tête d’un foulard que vous appelez "islamique". Pour la plupart, nous sommes croyantes. Mais, toutes, nous nous sentons assignées à une identité fantasmée qui nous met systématiquement dans le même sac que des assassins. De là vient la solidarité qui nous soude aujourd’hui, notamment entre "voilées" et "non voilées". C’est à partir de cette solidarité que nous nous adressons à vous. Et, aussi, à partir de toutes nos identités choisies, trop ignorées. Dont celle-ci : nous sommes féministes.
Nous vivons des temps difficiles. L’irruption sur le sol européen d’un terrorisme qui tue aveuglément au nom de l’islam a mis fin à l’illusion que nous pouvions nous tenir à l’écart des violences du monde. Que notre société cherche à se protéger, quoi de plus naturel ? Nos responsables répètent à l’envi qu’il faut éviter les amalgames et ne pas confondre une poignée de criminels avec la grande masse des musulman(e)s. Alors pourquoi a-t-on l’impression que c’est cette grande masse qui est systématiquement ciblée dans les discours et les pratiques ? La lamentable saga du "burkini" vient encore de l’illustrer. Tout ce vacarme pour quelques femmes qui ne se déshabillent pas comme il faudrait ! La pente naturelle de cette nouvelle hystérie française qui s’exporte déjà en Belgique, c’est l’interdiction des "signes religieux ostentatoires" dans tout l’espace public. Ça ne viserait une fois de plus que des femmes, pour l’immense majorité d’entre elles parfaitement inoffensives, et ça ne gênerait aucun terroriste en puissance. Est-ce ainsi qu’on pense éviter l’amalgame entre une toute petite minorité criminelle et l’ensemble de la population musulmane ?
Les interdits se multiplient
En Belgique, on n’a pas attendu le "burkini" pour prendre de multiples mesures en vue de refouler hors de la vie sociale les musulmanes portant le foulard. Les interdits se multiplient dans l’emploi comme dans l’enseignement. Dernières péripéties en date : à partir de la rentrée de septembre, deux écoles fréquentées par des adultes, à Bruxelles et à Liège(2), ont changé leur règlement d’ordre intérieur pour y interdire le foulard. Cela concernera plus d’une cinquantaine d’étudiantes en cours de scolarité. La Belgique va ici plus loin que la France qui limite l’interdiction du foulard à l’enseignement secondaire. Le candidat Sarkozy, qui court derrière le Front national, a déclaré vouloir étendre cette interdiction à l’enseignement supérieur. En Belgique, c’est déjà chose faite, sans aucun débat…
Seules des femmes sont concernées par toutes ces mesures. Ça ne vous choque pas ? Pourquoi aucun des interdits ne vise les "barbus" ? Ne serait-ce pas parce qu’il y a autant de barbes musulmanes que de barbes profanes et qu’il n’existe aucun moyen infaillible pour les distinguer ? N’est-ce pas là la preuve que la neutralité d’une apparence, cela ne veut rien dire et que la neutralité ou l’impartialité résident seulement dans les actes posés ?
Nous le voyons bien : ce foulard, celui de nos mères, de nos sœurs, de nos amies vous trouble. A la lumière du long combat des féministes d’Occident, mené notamment contre l’emprise d’une Eglise dominante, vous ne pouvez y voir qu’une régression. Nous devons à ce combat des libertés que nos mères et nos grands-mères n’auront souvent jamais connues. Nous pouvons désormais échapper à la tutelle masculine et nous ne nous en privons pas. En particulier, aucun homme, père, frère ou mari ne pourrait se permettre de nous imposer une tenue vestimentaire contre notre volonté - même si nous savons bien que ce n’est pas une règle générale. Toutes, nous sommes pleinement le produit de notre culture européenne, même si, pour beaucoup parmi nous, celle-ci est métissée d’un ailleurs. Pour celles d’entre nous qui le portent, le foulard ne saurait être un affront aux valeurs démocratiques puisque celles-ci sont aussi les nôtres. Il ne signifie absolument pas que nous jugerions "impudiques" les femmes qui s’habillent autrement. Comme féministes, nous défendrons toujours le droit des femmes d’ici et d’ailleurs à se construire leur propre chemin de vie, contre toutes les injonctions visant à les conformer de manière autoritaire à des prescriptions normatives.
Devenir des allié(e)s
Vous affirmez souvent que nos foulards sont des signes religieux. Mais qu’en savez-vous ? Certaines d’entre nous sont croyantes et pourtant ne le portent pas, ou plus. D’autres le portent dans la continuité d’un travail spirituel, ou par affirmation identitaire. D’autres encore par fidélité aux femmes de leur famille auxquelles ce foulard les relie. Souvent, toutes ces motivations s’imbriquent, s’enchaînent, évoluent dans le temps. Cette pluralité se traduit également dans les multiples manières de le porter. Pourquoi les femmes musulmanes échapperaient-elles à la diversité qui peut s’observer dans tous les groupes humains ?
Pourquoi vous raconter tout cela ? Pour que, à partir d’une meilleure compréhension mutuelle, nous puissions devenir vraiment des allié(e)s. Car nous ne serons jamais trop nombreuses pour combattre les injustices et les inégalités en tout genre, à commencer par celles qui frappent les femmes. Pour que vous cessiez de considérer celles d’entre nous qui portent le foulard comme, au choix, des mineures sous influence, des idiotes utiles ou des militantes perfides d’un dogme archaïque. Pour vous donner envie de nous rencontrer - toutes, et pas seulement celles qui ont les cheveux à l’air -, au lieu de nous tenir à l’écart et de nous contraindre ainsi au repli communautaire. Nous voulons vraiment faire société ensemble, avec nos ressemblances et nos différences. Chiche ?
---> (1) Sema Aydogan, Serpil Aygun, Layla Azzouzi, Malaa Ben Azzuz, Ouardia Derriche, Farah El Heilani, Khalissa El Abbadi, Tamimount Essaidi, Maria Florez Lopez, Marie Fontaine, Seyma Gelen, Malika Hamidi, Ihsane Haouach, Khaddija Haourigui, Eva Maria Jimenez Lamas, Julie Pascoët, Farida Tahar. Contact : citoyennesmusulmanes@gmail.com
---> (2) L’Institut d’enseignement de promotion sociale d’Uccle (Bruxelles), qui dépend de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et la Haute école de la province de Liège, qui dépend du pouvoir provincial. La plupart des Hautes écoles de l’enseignement officiel disposent déjà de tels règlements, ainsi – et c’est peut-être encore plus grave – que de très nombreux établissements de promotion sociale.
http://www.lalibre.be/debats/opinions/citoyennes-feministes-et-musulmanes-57dabba635704b54e6c338cc
Opinions
En clamant sa haine de la mondialisation, il s’aligne sur la
stratégie du repli sur soi chère au parti conservateur anglais et à
l’UKIP. Il faut oser préférer la raison à la haine et à la peur.
En l’espace d’une semaine, le gouvernement wallon a pris des
positions très fortes sur le libre-échange et sur l’évolution
technologique. Ces deux sujets sont liés à des émotions qui imprègnent
fortement le débat public occidental. S’il est bon que la classe
politique s’empare de ces sujets, il est primordial que les réponses
soient à la hauteur des enjeux. Il faut que la raison l’emporte sur la
manipulation des émotions.
1. La colère face à la mondialisation (et le refus du CETA)
Essayons de partir de faits. D’après la Banque mondiale, le nombre de citoyens du monde vivant dans l’extrême pauvreté a été divisé par deux entre 2005 et 2015. 700 millions d’individus sont sortis de l’extrême pauvreté en l’espace d’une décennie. C’est du jamais vu dans l’histoire de l’humanité. L’un des facteurs expliquant cette évolution est la levée de barrières au libre-échange, en particulier avec l’Asie et l’Afrique. Autre fait : les classes populaires occidentales sont celles qui ont le moins bénéficié du libre-échange. Leurs revenus au cours des deux dernières décennies ont grosso modo stagné (bien que la situation diffère entre les pays occidentaux). En résumé, si les inégalités mondiales ont fortement décru, les inégalités à l’intérieur de la société occidentale ont connu le trajet inverse. Les classes populaires américaines et européennes se sentent flouées. Faut-il dès lors revenir en arrière et fermer nos marchés ? Certainement pas !
La crise de 1929 en est la preuve tragique : le retour au protectionnisme économique ne résout pas la problématique des inégalités. Bien au contraire, le protectionnisme engendre des périls politiques bien plus grands. Fermer nos marchés, c’est mettre en danger l’émergence d’une classe moyenne dans les pays du sud sans résoudre pour autant la colère des classes populaires occidentales envers leurs élites. En refusant le traité de libre-échange avec le Canada, le gouvernement wallon pense donner des gages à un électorat populaire sensible aux thèses du PTB. Il a raison de réagir, mais il se trompe de réponse. Tout comme le parti conservateur anglais s’est trompé en se rangeant aux thèses de UKIP lors de la campagne pour le Brexit. Une stratégie de repli sur soi n’est pas la bonne stratégie face à la colère.
2. La peur que les travailleurs soient remplacés par des robots
Christophe Lacroix, ministre wallon des Finances a proposé cette semaine de taxer les machines qui remplacent le personnel peu qualifié. Ce faisant, il fait écho à une autre émotion qui imprègne nos sociétés occidentales : la peur du remplacement de l’homme par la machine. Cette peur est parfaitement compréhensible : selon un rapport du Conseil supérieur de l’emploi (CSE) publié en juin 2016, 39 % de l’emploi belge est fortement susceptible d’être numérisé. On parle d’à peu près 2 millions d’emplois. Cela veut-il dire que ces 2 millions d’emplois vont disparaître bientôt en Belgique ? Absolument pas ! Le CSE estime qu’une bonne part des 43 000 emplois nets créés en Belgique en 2016 seront liés à la transformation numérique.
D’ici à 2020, les estimations de création nette d’emplois grâce au numérique vont de 50 000 à 300 000 en Belgique. Mais les emplois changent de nature. Ils requièrent de plus en plus de compétences numériques. Il est donc impératif d’accompagner pro-activement cette transformation. Comment ? En investissant massivement dans la formation. En faisant évoluer les mentalités. Nous devons tous oser nous transformer. Faire croire que l’on pourra ralentir l’évolution technologique en mettant une taxe sur l’innovation est un mensonge que paieront cher les travailleurs actuels et futurs. La Belgique et le Parti Socialiste wallon ont perdu cette semaine l’une de leurs grandes consciences, Roger Lallemand, père des législations sur l’avortement et l’euthanasie. Ces législations progressistes sont l’honneur de la Belgique. Puissent d’autres consciences, aujourd’hui, faire le pari de la raison et du progrès, face à la tentation du conservatisme et de la manipulation d’émotions nocives.
http://www.lalibre.be/debats/opinions/ceta-le-populisme-du-gouvernement-wallon-5810c4decd70fdfb1a582666
En Belgique, les mesures en vue de refouler hors de la vie sociale les musulmanes portant le foulard se multiplient. Ne nous contraignez pas au repli communautaire, devenons des alliés. Nous sommes des femmes qui vivons et agissons en Belgique. Nos pays d’origine, nos profils, engagements et centres d’intérêt sont très divers, mais les images que l’on produit de nous nous réduisent à une seule facette de notre identité dans laquelle on nous enferme : nous sommes musulmanes. Certaines d’entre nous se couvrent la tête d’un foulard que vous appelez "islamique". Pour la plupart, nous sommes croyantes. Mais, toutes, nous nous sentons assignées à une identité fantasmée qui nous met systématiquement dans le même sac que des assassins. De là vient la solidarité qui nous soude aujourd’hui, notamment entre "voilées" et "non voilées". C’est à partir de cette solidarité que nous nous adressons à vous. Et, aussi, à partir de toutes nos identités choisies, trop ignorées. Dont celle-ci : nous sommes féministes.
Nous vivons des temps difficiles. L’irruption sur le sol européen d’un terrorisme qui tue aveuglément au nom de l’islam a mis fin à l’illusion que nous pouvions nous tenir à l’écart des violences du monde. Que notre société cherche à se protéger, quoi de plus naturel ? Nos responsables répètent à l’envi qu’il faut éviter les amalgames et ne pas confondre une poignée de criminels avec la grande masse des musulman(e)s. Alors pourquoi a-t-on l’impression que c’est cette grande masse qui est systématiquement ciblée dans les discours et les pratiques ? La lamentable saga du "burkini" vient encore de l’illustrer. Tout ce vacarme pour quelques femmes qui ne se déshabillent pas comme il faudrait ! La pente naturelle de cette nouvelle hystérie française qui s’exporte déjà en Belgique, c’est l’interdiction des "signes religieux ostentatoires" dans tout l’espace public. Ça ne viserait une fois de plus que des femmes, pour l’immense majorité d’entre elles parfaitement inoffensives, et ça ne gênerait aucun terroriste en puissance. Est-ce ainsi qu’on pense éviter l’amalgame entre une toute petite minorité criminelle et l’ensemble de la population musulmane ?
Les interdits se multiplient
En Belgique, on n’a pas attendu le "burkini" pour prendre de multiples mesures en vue de refouler hors de la vie sociale les musulmanes portant le foulard. Les interdits se multiplient dans l’emploi comme dans l’enseignement. Dernières péripéties en date : à partir de la rentrée de septembre, deux écoles fréquentées par des adultes, à Bruxelles et à Liège(2), ont changé leur règlement d’ordre intérieur pour y interdire le foulard. Cela concernera plus d’une cinquantaine d’étudiantes en cours de scolarité. La Belgique va ici plus loin que la France qui limite l’interdiction du foulard à l’enseignement secondaire. Le candidat Sarkozy, qui court derrière le Front national, a déclaré vouloir étendre cette interdiction à l’enseignement supérieur. En Belgique, c’est déjà chose faite, sans aucun débat…
Seules des femmes sont concernées par toutes ces mesures. Ça ne vous choque pas ? Pourquoi aucun des interdits ne vise les "barbus" ? Ne serait-ce pas parce qu’il y a autant de barbes musulmanes que de barbes profanes et qu’il n’existe aucun moyen infaillible pour les distinguer ? N’est-ce pas là la preuve que la neutralité d’une apparence, cela ne veut rien dire et que la neutralité ou l’impartialité résident seulement dans les actes posés ?
Nous le voyons bien : ce foulard, celui de nos mères, de nos sœurs, de nos amies vous trouble. A la lumière du long combat des féministes d’Occident, mené notamment contre l’emprise d’une Eglise dominante, vous ne pouvez y voir qu’une régression. Nous devons à ce combat des libertés que nos mères et nos grands-mères n’auront souvent jamais connues. Nous pouvons désormais échapper à la tutelle masculine et nous ne nous en privons pas. En particulier, aucun homme, père, frère ou mari ne pourrait se permettre de nous imposer une tenue vestimentaire contre notre volonté - même si nous savons bien que ce n’est pas une règle générale. Toutes, nous sommes pleinement le produit de notre culture européenne, même si, pour beaucoup parmi nous, celle-ci est métissée d’un ailleurs. Pour celles d’entre nous qui le portent, le foulard ne saurait être un affront aux valeurs démocratiques puisque celles-ci sont aussi les nôtres. Il ne signifie absolument pas que nous jugerions "impudiques" les femmes qui s’habillent autrement. Comme féministes, nous défendrons toujours le droit des femmes d’ici et d’ailleurs à se construire leur propre chemin de vie, contre toutes les injonctions visant à les conformer de manière autoritaire à des prescriptions normatives.
Devenir des allié(e)s
Vous affirmez souvent que nos foulards sont des signes religieux. Mais qu’en savez-vous ? Certaines d’entre nous sont croyantes et pourtant ne le portent pas, ou plus. D’autres le portent dans la continuité d’un travail spirituel, ou par affirmation identitaire. D’autres encore par fidélité aux femmes de leur famille auxquelles ce foulard les relie. Souvent, toutes ces motivations s’imbriquent, s’enchaînent, évoluent dans le temps. Cette pluralité se traduit également dans les multiples manières de le porter. Pourquoi les femmes musulmanes échapperaient-elles à la diversité qui peut s’observer dans tous les groupes humains ?
Pourquoi vous raconter tout cela ? Pour que, à partir d’une meilleure compréhension mutuelle, nous puissions devenir vraiment des allié(e)s. Car nous ne serons jamais trop nombreuses pour combattre les injustices et les inégalités en tout genre, à commencer par celles qui frappent les femmes. Pour que vous cessiez de considérer celles d’entre nous qui portent le foulard comme, au choix, des mineures sous influence, des idiotes utiles ou des militantes perfides d’un dogme archaïque. Pour vous donner envie de nous rencontrer - toutes, et pas seulement celles qui ont les cheveux à l’air -, au lieu de nous tenir à l’écart et de nous contraindre ainsi au repli communautaire. Nous voulons vraiment faire société ensemble, avec nos ressemblances et nos différences. Chiche ?
---> (1) Sema Aydogan, Serpil Aygun, Layla Azzouzi, Malaa Ben Azzuz, Ouardia Derriche, Farah El Heilani, Khalissa El Abbadi, Tamimount Essaidi, Maria Florez Lopez, Marie Fontaine, Seyma Gelen, Malika Hamidi, Ihsane Haouach, Khaddija Haourigui, Eva Maria Jimenez Lamas, Julie Pascoët, Farida Tahar. Contact : citoyennesmusulmanes@gmail.com
---> (2) L’Institut d’enseignement de promotion sociale d’Uccle (Bruxelles), qui dépend de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et la Haute école de la province de Liège, qui dépend du pouvoir provincial. La plupart des Hautes écoles de l’enseignement officiel disposent déjà de tels règlements, ainsi – et c’est peut-être encore plus grave – que de très nombreux établissements de promotion sociale.
http://www.lalibre.be/debats/opinions/citoyennes-feministes-et-musulmanes-57dabba635704b54e6c338cc
Ceta: le populisme du gouvernement wallon
Publié le - Mis à jour leOpinions
Une opinion de Laurent Hublet, conseiller "Agenda numérique" du ministre Alexander de Croo (Open VLD).
1. La colère face à la mondialisation (et le refus du CETA)
Essayons de partir de faits. D’après la Banque mondiale, le nombre de citoyens du monde vivant dans l’extrême pauvreté a été divisé par deux entre 2005 et 2015. 700 millions d’individus sont sortis de l’extrême pauvreté en l’espace d’une décennie. C’est du jamais vu dans l’histoire de l’humanité. L’un des facteurs expliquant cette évolution est la levée de barrières au libre-échange, en particulier avec l’Asie et l’Afrique. Autre fait : les classes populaires occidentales sont celles qui ont le moins bénéficié du libre-échange. Leurs revenus au cours des deux dernières décennies ont grosso modo stagné (bien que la situation diffère entre les pays occidentaux). En résumé, si les inégalités mondiales ont fortement décru, les inégalités à l’intérieur de la société occidentale ont connu le trajet inverse. Les classes populaires américaines et européennes se sentent flouées. Faut-il dès lors revenir en arrière et fermer nos marchés ? Certainement pas !
La crise de 1929 en est la preuve tragique : le retour au protectionnisme économique ne résout pas la problématique des inégalités. Bien au contraire, le protectionnisme engendre des périls politiques bien plus grands. Fermer nos marchés, c’est mettre en danger l’émergence d’une classe moyenne dans les pays du sud sans résoudre pour autant la colère des classes populaires occidentales envers leurs élites. En refusant le traité de libre-échange avec le Canada, le gouvernement wallon pense donner des gages à un électorat populaire sensible aux thèses du PTB. Il a raison de réagir, mais il se trompe de réponse. Tout comme le parti conservateur anglais s’est trompé en se rangeant aux thèses de UKIP lors de la campagne pour le Brexit. Une stratégie de repli sur soi n’est pas la bonne stratégie face à la colère.
2. La peur que les travailleurs soient remplacés par des robots
Christophe Lacroix, ministre wallon des Finances a proposé cette semaine de taxer les machines qui remplacent le personnel peu qualifié. Ce faisant, il fait écho à une autre émotion qui imprègne nos sociétés occidentales : la peur du remplacement de l’homme par la machine. Cette peur est parfaitement compréhensible : selon un rapport du Conseil supérieur de l’emploi (CSE) publié en juin 2016, 39 % de l’emploi belge est fortement susceptible d’être numérisé. On parle d’à peu près 2 millions d’emplois. Cela veut-il dire que ces 2 millions d’emplois vont disparaître bientôt en Belgique ? Absolument pas ! Le CSE estime qu’une bonne part des 43 000 emplois nets créés en Belgique en 2016 seront liés à la transformation numérique.
D’ici à 2020, les estimations de création nette d’emplois grâce au numérique vont de 50 000 à 300 000 en Belgique. Mais les emplois changent de nature. Ils requièrent de plus en plus de compétences numériques. Il est donc impératif d’accompagner pro-activement cette transformation. Comment ? En investissant massivement dans la formation. En faisant évoluer les mentalités. Nous devons tous oser nous transformer. Faire croire que l’on pourra ralentir l’évolution technologique en mettant une taxe sur l’innovation est un mensonge que paieront cher les travailleurs actuels et futurs. La Belgique et le Parti Socialiste wallon ont perdu cette semaine l’une de leurs grandes consciences, Roger Lallemand, père des législations sur l’avortement et l’euthanasie. Ces législations progressistes sont l’honneur de la Belgique. Puissent d’autres consciences, aujourd’hui, faire le pari de la raison et du progrès, face à la tentation du conservatisme et de la manipulation d’émotions nocives.
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